S. Waserman (Ademe) : « Le défi du déclenchement de l’action reste à gagner »

Le nouveau président de l’Ademe Sylvain Waserman, accueilli le 25 août 2023 par Jérémie Almosni, directeur régional Ile-de-France de l’Ademe, dans le cadre de son tour de France des Régions, souhaite mettre en place un réseau d’élus partenaires de l’Ademe au sein de chaque commune.

Pouvez-vous nous rappeler votre itinéraire jusqu’à la présidence de l’Ademe ?

Mon parcours est passé tout d’abord par l’entreprise. J’ai été également élu local, maire de village, président d’une communauté de communes, élu régional, député et enfin vice-président de l’Assemblée nationale. J’ai dirigé pendant huit ans Réseau gaz de Strasbourg, distributeur de gaz dans le Bas-Rhin. Comme je le rappelais lors de mon audition parlementaire, lorsque je suis arrivé, il fournissait du gaz naturel depuis 150 ans. Quand j’en suis parti, 30 % de notre chiffre d’affaires provenait de réseaux de chaleur, avec une part de biométhane. C’est en développant cette activité que j’ai appris à mieux connaître l’Ademe et pu mesurer à quel point son action était déterminante.

Sylvain Waserman, président de l’Ademe. © Jgp

Pourquoi avez-vous entrepris un tour de France des régions ?

J’avais rédigé en 2016 un livre blanc qui traitait du modèle local de l’énergie, dans lequel je baignais, pour expliquer qu’à mon sens il constituait un accélérateur de la transition écologique des territoires. Je rappelais alors que quand vous focalisez des investissements, quand vous développez un dialogue de qualité avec les élus et les acteurs économiques du territoire, tout en veillant à l’acceptabilité citoyenne des projets, vous atteignez une puissance de feu qui permet d’accélérer la transition écologique du territoire. C’est la raison pour laquelle j’effectue ce tour de France, qui me nourrit profondément, avant d’entrer dans la phase de négociation avec l’Etat du contrat d’objectifs et de performances de l’Ademe.

En quoi consiste ce document ?

C’est le contrat qui nous lie à l’Etat quant à l’utilisation des moyens extrêmement importants qu’il consacre à la transition écologique et qu’il nous confie pour beaucoup. Je voulais, avant que cette négociation débute, constater comment nos équipes mettent en œuvre nos programmes et relèvent les défis qui sont les nôtres, territoire par territoire. Il s’agit aussi de voir comment les préfets perçoivent notre action, alors que la loi 3DS, que j’ai votée lorsque j’étais député, leur a conféré le rôle de délégué territorial de l’Ademe. Nous sommes le bras armé de l’Etat et mobilisons toute la puissance publique sur la cause de la transition écologique qui figure en tête de priorités publiques. Tous les préfets de région m’ont reçu.

Qu’est-ce qu’apporte ce nouveau rôle des préfets au sein de l’Ademe ?

Un directeur régional me rapportait récemment comment il avait pu, grâce à l’appui de sa préfète, réunir en quelques jours les 30 entreprises de son territoire les plus émettrices de carbone, ce qui aurait pris des mois voire des années s’il avait dû provoquer lui-même une telle réunion. Autrement dit, cela donne à l’Ademe une puissance d’action sans commune mesure.

Comment le contrat d’objectifs et de performance qui vous lie à l’Etat au plan national s’articule-t-il avec les spécificités de chaque région ?

Il faut rappeler que nous entrons dans une phase de territorialisation des objectifs de planification écologique. Marc Guillaume, le préfet de Paris et de la région d’Ile-de-France, me disait récemment à quel point il considère que ce choix stratégique constitue une des conditions de la réussite de notre action. Avec mon parcours d’élu local, la rédaction du livre blanc sur les vertus du modèle local de l’énergie, ma vision de la décentralisation des politiques de transition, le président de la République n’a pas présenté ma candidature à la présidence de l’Ademe, soutenue par 82 % des parlementaires, par hasard. Cette logique de déclinaison territoriale de nos politiques s’applique à la logique de planification écologique. Le monde a changé. Il y a encore quelques années, lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale, on votait des programmations pluriannuelles de l’énergie avec des objectifs de développement des énergies renouvelables qui ne correspondaient pas avec la somme des objectifs contenus dans chaque Sraddet (*). Et cela ne semblait choquer personne.

Sylvain Waserman et Jérémie Almosni, directeur régional Ile-de-France de l’Ademe. © Jgp

Ce temps est-il aujourd’hui révolu ?

La loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) va corriger cela pour l’avenir. Aujourd’hui, grâce au travail de planification écologique mené par le secrétariat général à la planification écologique placé auprès de la Première ministre, on connaît nos objectifs. Moi qui viens du monde de l’entreprise, je peux vous dire que cela change tout. Aujourd’hui, la France produit 410 millions de tonnes d’équivalent carbone. Nous devons réduire ce chiffre à 270 millions de tonnes en 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous devons donc réduire nos émissions de 140 millions de tonnes au cours des sept années qui viennent. La mission des hommes et des femmes de l’Ademe est d’agir au quotidien, en accompagnement de tous les acteurs de la société, pour atteindre cet objectif. En tenant compte des spécificités régionales. La transition écologique des territoires ne se décrète pas de Paris.

Quelles sont vos priorités ?

Nous sommes face à un enjeu de mobilisation. J’étudie actuellement les modalités de la mise en place, au sein de chaque commune ou groupement de communes, d’un réseau de référents de la transition écologique. Il s’agirait concrètement d’un élu, lié avec l’Ademe par un contrat moral, par lequel il s’engage à nous consacrer une journée par an, plus quelques heures tous les trimestres pour s’informer et se former à la transition écologique. Il s’agit pour l’Ademe de donner à ces élus référents les clés pour décrypter les enjeux d’une transition qui peut paraître parfois complexe car elle touche plusieurs problématiques : celle du carbone bien sûr mais aussi celle des ressources, de l’aménagement du territoire, des modes de gouvernance… Nous souhaitons favoriser ainsi la montée en puissance d’une communauté d’élus, qui sont autant de citoyens engagés, pour diffuser une culture de la transition écologique. L’Ile-de-France a d’ailleurs été précurseure dans ce domaine, en lançant le label « un territoire engagé pour la transition écologique » (voir ci-dessous). La coopération entre l’Ademe et les collectivités, au sein desquelles nous co-finançons des postes, a également confirmé tout l’intérêt de nos collaborations.

Aujourd’hui, 83 % des Français ont compris qu’il existe un lien entre le réchauffement climatique et l’activité humaine. Le combat qu’il reste largement à gagner est celui du déclenchement de l’action. Un de ses freins réside dans la complexité des sujets à traiter. C’est le sens de « Nos gestes climat », outil que nous avons créé et qui permet de mesurer son impact carbone. Si chacun d’entre nous réduit de 10 % ses émissions carbones, alors que chaque Français émet entre 8 et 10 tonnes de carbone par an, nous aurons réalisé un pas de géant sur le chemin vers la neutralité carbone. Il faut sortir des incantations et passer aux actes. Je souhaite aussi que les parlementaires de chaque région soient mieux informés par les directeurs régionaux de notre action locale. Il reste à trouver les bonnes modalités d’organisation de ces échanges entre chaque direction régionale et les parlementaires de sa région.

Vous semble-t-il que les entreprises ont moins besoin d’être formées à la transition écologique ?

Je ne connais pas un chef d’entreprise qui se désintéresse de la transition écologique. J’ajoute que toutes les entreprises savent désormais qu’il s’agit aussi d’un sujet d’attractivité des talents et d’acceptabilité citoyenne pour leurs produits. Le sujet est, là encore, de trouver le chemin pour passer à l’action. Et je crois profondément dans l’essaimage des bonnes pratiques. Je pense par exemple à un système récemment mis en place en Normandie pour réinjecter la chaleur « perdue » par les laiteries (appelée aussi chaleur fatale) dans des réseaux de chaleur qui serviront à alimenter des bâtiments, alors que 60 % de cette énergie n’était pas utilisée jusqu’à présent. La question pour nous, à l’Ademe, réside dans la généralisation de cette innovation technologique dans toutes les laiteries de France. Notre enjeu est la généralisation des solutions qui marchent.

Quelles sont selon vous les spécificités de l’Ile-de-France ?

Elles résident à mes yeux dans une capacité d’action remarquable, une créativité ainsi qu’une exigence de résultats, une capacité à allier les forces, à coopérer, que permet un territoire très dense. La Défense par exemple, et la concentration qui la caractérise, permet d’utiliser des vélos cargo pour récupérer les verres utilisées dans chaque restaurant, pour atteindre l’objectif de zéro plastique de façon extrêmement efficace par rapport à un tissu économique plus diffus. Même chose pour le développement du réémploi des déchets du BTP. L’efficacité carbone de l’euro investi peut être ici optimisée.

 

(*) Schéma régional d’aménagement et de développement territorial, auquel le schéma directeur de la Région Ile-de-France se substitue au sein de la Région Capitale.

 

Jérémie Almosni : « Informer sur la transition génère des actions enthousiastes »

Pour le directeur régional Ile-de-France de l’Ademe, l’accélération de la transition écologique passe par une meilleure information sur l’impact des gestes du quotidien pour réduire ses émissions carbone.

Jérémie Almosni. © Jgp

« La mobilisation que souhaite renforcer encore le président de l’Ademe est l’affaire de nos équipes, mais cela concerne aussi un collectif d’acteurs que nous essayons de favoriser en Ile-de-France, grâce à près de 40 partenariats en cours, qui nous permettent de toucher un nombre croissant d’entreprises. Il s’agit pour nous de réfléchir, comme le souligne Sylvain Waserman, aux moyens de favoriser le passage à l’action. L’idée de changer d’échelle dans ce cadre, en favorisant le partage de bonnes pratiques, d’exemples à suivre nous semble extrêmement intéressante pour l’Ile-de-France. La sensibilisation et l’information des différents acteurs, publics et privés, me semble également primordiale. L’outil “Nos gestes climat” doit être popularisé, car il permet de réaliser un vrai diagnostic de ses émissions de gaz à effet de serre, pour décliner ensuite une série d’actions simples, sur son alimentation, sa mobilité, son chauffage, etc. Nous avons mené cette action à Issy-les-Moulineaux auprès de 200 familles. Les résultats sont impressionnants, avec une moyenne de 5 tonnes d’équivalent carbone économisées en moyenne par foyer. Elles n’ont pas l’impression de consentir à des sacrifices, elles le font avec enthousiasme et des effets notables sur les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons mené une stratégie en direction des collectivités territoriales, à l’échelle des intercommunalités, dans le cadre de laquelle nous avons bâti un référentiel baptisé “un territoire engagé pour la transition écologique”. Il constitue le label qui permet d’attester et stimuler l’engagement d’un territoire sur un programme d’actions concrètes. Mais des communes et des communautés de communes demeurent seules pour aborder ces sujets. Nous avons donc besoin de relais dans chaque commune. A nous de mettre en place l’ingénierie intelligente qui facilitera le dialogue avec eux ».

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