Réchauffement climatique : l’Etat jugé responsable

Saisi par quatre associations de défense de l’environnement à la suite d’une pétition signée par 2,3 millions de personnes, le tribunal administratif de Paris vient de déclarer l’Etat responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique.

« Le juge administratif a considéré que l’Etat ne respectait pas les objectifs qu’il s’est lui-même fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est un moment historique », résume Clémentine Baldon. L’avocate, qui conseillait en l’espèce la Fondation Nicolas Hulot, l’une des quatre associations plaignantes (avec Oxfam France, Notre Affaire à tous et Greenpeace France) cite les lois consécutives au Grenelle de l’environnement et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Des textes qui prévoyaient notamment une stratégie nationale bas-carbone, que le juge administratif estime donc n’être pas respectée par l’Etat lui-même.

Conférence de presse des associations plaignantes et de leurs conseils, à l’issue du jugement. © Jgp

« Le volume maximum d’émission de gaz à effet de serre fixé a été systématiquement dépassé et, que ce soit secteur par secteur ou globalement, les moyens n’ont pas été mis en œuvre, poursuit Clémentine Baldon. En termes de mobilité, par exemple, le report modal vers le train n’a pas fonctionné, c’est l’inverse qui s’est produit : le trafic routier a augmenté au détriment du train et non l’inverse, avec l’envolée des SUV, illustre-t-elle. Idem dans le bâtiment où au lieu de procéder à 300 000 rénovations de bâtiment par an, comme prévu, on en est à 70 000. Or l’Etat dispose d’une série de leviers, réglementaires, fiscaux ou par le biais de ses investissements », ajoute l’avocate, qui confiait, à l’issue du jugement, « son immense fierté et sa grande émotion ».

« Ce jugement montre que le fait que l’Etat ne soit pas le seul responsable ne le disculpe pas », estimait pour sa part Célia Gauthier, de la Fondation Nicolas Hulot. « Nous connaissons déjà les politiques qu’il faut mettre en œuvre », ajoutait Cécile Duflot, présidente d’Oxfam. Qu’il s’agisse de transports, d’économie d’énergie, d’isolation des bâtiments ou de politique agricole ou alimentaire. Mais ce pourquoi nous nous battons par conviction depuis 25 ans, nous allons l’obtenir par injonction de la justice », poursuivait l’ancienne ministre. « Les citoyens, aussi engagés soient-ils, ne peuvent agir que sur 25 % des causes du réchauffement climatique. Les 75 % restants dépendent de l’application effective de politiques publiques », ajoutait Cécile Duflot, indiquant que « personne, il y a deux ans, lors du lancement du contentieux, croyait cette victoire contre l’Etat possible. »

Réparation en nature

Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris vient donc de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique, jugeant que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engageait sa responsabilité. Le tribunal a également considéré que les associations requérantes étaient fondées à demander la réparation en nature du préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges ont prononcé un supplément d’instruction, assorti d’un délai de deux mois.

Pour mémoire, en mars 2019, les associations de défense de l’environnement Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la nature et l’homme et Greenpeace France avaient introduit quatre requêtes devant le tribunal administratif de Paris afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer non seulement leur préjudice moral mais également le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements à ses obligations, rappelle le TA de Paris.

Préjudice écologique

Après avoir jugé que l’action en réparation du préjudice écologique, prévue par le code civil, était recevable et ouverte contre l’Etat, le tribunal a estimé que l’existence d’un tel préjudice, non contesté par l’Etat, se manifestait notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques. Les juges ont ensuite examiné s’il existait un lien de causalité entre ce préjudice écologique et les différents manquements reprochés à l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique. Ils ont retenu que celui-ci devait être regardé comme responsable d’une partie de ce préjudice, dès lors qu’il n’avait pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

S’agissant de la réparation du préjudice écologique, le tribunal a souligné qu’une telle réparation s’effectue prioritairement en nature, les dommages et intérêts n’étant prononcés qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation. Il a rejeté pour ce motif les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire.

La période qui s’ouvre, compte-tenu du sursis à statuer de deux mois décidé par les juges, s’annonce riche en débats pour savoir comment l’Etat doit répondre et précéder l’injonction à agir qui va suivre.

Consultez le jugement.

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