P. Leclerc (Gennevilliers) : « Il faut arrêter l’artificialisation des sols »

Le maire PCF de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) revient sur les conséquences de la crise sanitaire sur sa commune et livre sa vision des évolutions que doit connaître l’organisation administrative territoriale en Ile-de-France. Il décrit l’intérêt du méthaniseur dédié aux biodéchets en projet sur le port de Gennevilliers, avant de détailler les ambitions et les réalisations de sa ville en matière de transition écologique.

Déplorez-vous, comme d’autres maires, l’inorganisation de l’Etat concernant la distribution des vaccins ?

Je regrette un manque de concertation et d’anticipation de l’Etat sur ces questions. Je comprends qu’il puisse y avoir des ratés. Mais l’on a le sentiment que l’Etat ne tire pas de leçons des précédents dysfonctionnements. Soit il y a trop de règles, et c’est ingérable localement, soit nous sommes sollicités au dernier moment pour intervenir immédiatement.

Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. © Jgp

Est-ce que vous en tirez des conclusions, comme certains de vos pairs, sur l’état de la décentralisation et sur la nécessité, sinon de l’achever, d’aller plus loin ?

Peut-être que l’Etat pourrait se limiter à donner des consignes, que l’on met en œuvre ensuite avec plus de souplesse. Par exemple, le confinement total, je pense qu’il n’y a que l’Etat central qui peut le décider. Mais je suis favorable à ce qu’il y ait beaucoup plus de pouvoir dévolu aux collectivités locales. Par exemple, je ne peux, ni ne souhaite, intervenir sur le fait que Neuilly-sur-Seine refuse de construire des logements sociaux, mais j’aimerais que l’Etat le fasse.

Est-ce que vos finances en pâtissent ou le craignez-vous pour l’avenir ?

Jusqu’à aujourd’hui, le coût du Covid à Gennevilliers représente un total de 6 millions d’euros, sur un budget de 180 millions d’euros. Soit 95 euros par habitant. Cela comprend les achats de masques, les distributions alimentaires, etc. En comparaison, la moyenne des dépenses liées au Covid s’élève à 22 euros par habitant en France. Cela provient notamment du fait que nous avons décidé de verser 3,5 millions d’euros à 8 000 foyers de la ville, sur la base du quotient familial. C’est un peu hors normes mais nous avons une population pauvre, qui en avait besoin.

Souhaitez-vous, comme c’est le cas des élus socialistes, que la Métropole se presse d’adopter son Scot (schéma de cohérence territoriale) et son PMHH (plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement) ?

Que la MGP se presse non, mais qu’elle l’adopte oui. On pourrait commencer par le PMHH. Tel que nous voulions l’adopter, il aurait permis, si ce n’est de régler la question du logement social, au moins d’avancer sur celle du logement d’urgence. Nous avons proposé, en effet, que chaque ville construise des dizaines de logements pour répondre aux besoins d’urgence.

En quoi estimez-vous que ce PMHH doit être modifié ?

Je suis favorable à ce que l’on atteigne 30 à 40 % de logements sociaux dans toutes les villes. C’est la raison pour laquelle je ne souhaite pas que la Métropole exerce cette compétence. Je ne vois pas comment une métropole, dirigée par une majorité de droite, pourrait conduire une meilleure politique en la matière que ce que font les élus de droite aujourd’hui dans leurs communes. Le Scot contenait l’idée d’imposer 30 % de pleine terre. Je suis pour ce principe en général mais il y a des endroits, à l’échelle municipale, où cela m’interdirait de construire alors que je dispose d’un parc à proximité qui me permettrait de respecter globalement ce ratio.

Quel regard portez-vous sur le zéro artificialisation nette (ZAN) ? Pour vous est-ce raisonnable, faisable, nécessaire ?

C’est indispensable. Il faut cesser l’artificialisation des sols. Il faut travailler autour de la densification car bâtir des zones pavillonnaires sur des terres agricoles, je trouve cela indécent. Il faudrait développer au contraire des terres agricoles autour de Paris dédiées au maraîchage, afin de nourrir à nouveau la métropole du Grand Paris. En ville, on peut aussi commencer à déminéraliser. C’est ce que l’on a entrepris à Gennevilliers, en remettant de la pleine terre sur les places bétonnées, en réfléchissant à l’aménagement des trottoirs. Même chose dans les cours d’école, pour lesquelles nous allons engager un plan de déminéralisation.

Quelle est votre opinion sur la transformation du périphérique en boulevard urbain que Paris souhaite inscrire dans le cadre de cette mandature ?

Par principe, j’y suis favorable. Cependant, je trouve que Paris prend parfois des décisions sans vraiment s’interroger sur les conséquences pour la banlieue et ses habitants. Si nous bénéficiions de la même densité de transports en commun en banlieue qu’à Paris, il n’y aurait pas de problème pour aller vite sur cette question. Mais force est de constater que nous prenons du retard sur certains projets. La ligne 15 ouest du Grand Paris express ne sera pas livrée en 2030. En attendant, la ligne 13 va continuer à être surchargée. Il faut donc développer les transports en commun de manière beaucoup plus importante. Avec mon groupe, nous souhaitons des « corona-bus », à l’image des « coronapistes » pour les vélos, afin de développer les voies de bus et ainsi fournir une alternative à l’usage de la voiture.

Est-ce pour cela que vous n’étiez pas très favorable à la ZFE au départ ?

Je suis favorable à la zone à faibles émissions, mais pas à son application punitive, sans accompagnement pour les ménages modestes. On a obtenu un vote, et c’est déjà un progrès, à l’unanimité des conseillers métropolitains reprenant la revendication d’un crédit à taux zéro. Mais pour l’instant le gouvernement n’a pas changé d’avis, il ne propose que le micro-crédit, ce qui ne sert à rien.

Soutenez-vous la construction d’un méthaniseur pour les biodéchets sur le port de Gennevilliers, conduit par le Syctom et le Sigeif, ainsi qu’Haropa ?

Gennevilliers est à l’origine de ce beau projet, qui nécessite toutefois que certaines conditions soient réunies, par exemple que les épandages s’effectuent bel et bien avec des déchets propres et non pathogènes. Cela dit, ce méthaniseur permettra d’alimenter en gaz les camions du port. Cela permettra également de réinjecter du biogaz dans le circuit si l’on en produit plus. Enfin, les collectivités locales devant être prochainement obligées de collecter les biodéchets, nous pourrons ainsi les recycler.

Des risques d’odeurs ou d’explosion sont parfois redoutés. Estimez-vous que toutes les garanties soient réunies pour les éviter ?

J’essaie d’avoir confiance, d’abord, dans les techniciens. Ensuite, le méthaniseur sera localisé sous le pont de l’A15. J’imagine que s’il y avait un risque d’explosion, on ne le construirait pas ici. Dans de nombreux pays, des méthaniseurs s’élèvent en ville. Là, nous choisissons une zone portuaire, sans riverain. C’est le lieu le plus en proximité des zones urbaines et le plus éloigné des habitations que l’on puisse trouver en petite couronne.

Quelles sont vos relations avec le port ?

Depuis la naissance des établissements publics territoriaux (EPT), les recettes liées à cet équipement lui sont dévolues. Le port de Gennevilliers représente un tiers de la superficie de la ville, et 8 000 des 43 000 emplois que compte la ville. Nous entretenons d’excellentes relations avec le port. Nous défendons la préservation de la zone à vocation économique, c’est pour cela que nous interdisons les constructions dans le port ou à proximité. Je suis d’ailleurs un peu inquiet des constructions de Colombes qui s’approchent de Safran par exemple, car nous savons bien que, lorsque l’on commence à construire des logements à côté des zones d’activités, ces dernières reculent. Le port va s’étendre encore car nous allons racheter des terres à EDF pour le permettre. Nous sommes également favorables au développement vertical du port.

Le port de Gennevilliers. © Jgp

Où vous situez-vous dans le débat entre les Territoires et la Métropole, qui se traduit désormais chaque année par une opposition en matière fiscale ?

Je suis pour conserver la commune comme étant la cellule de base de l’action de proximité politique avec les habitants. A partir de cela, je suis pour une réforme institutionnelle qui ferait que les Territoires deviendraient des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de droit commun et que la Métropole soit transformée en un syndicat intercommunal, regroupant les communes mais aussi les autres niveaux de collectivités comme la Région ou les Départements. Il s’agirait alors d’un lieu de travail stratégique dédié à l’aménagement et aux différents enjeux métropolitains, avec des compétences sur tout ce qui concerne les questions environnementales, je pense notamment à la pollution de l’air, peut-être également aux transports en zones urbaines. Je suis pour l’augmentation des recettes de la Métropole afin qu’elle soutienne les territoires et les communes en fonction de leurs besoins de développement.

Quelles sont vos grandes priorités, vos grands chantiers pour Gennevilliers pour ce mandat ?

L’un des premiers chantiers, qui se rapproche d’une ambition philosophique, est celui d’inventer un « nouvel art de vivre populaire » dans la ville. Nous voulons ainsi réinventer des façons de vivre ensemble, qui intègrent notamment l’agriculture urbaine. Dans ce cadre-là, nous préparons un projet avec la ville d’Argenteuil et le territoire. Il s’agit de créer des régies agricoles, en utilisant les terres agricoles d’Argenteuil (40 ha) qui permettront de produire du maraîchage. Pour Gennevilliers, j’ai l’ambition d’acquérir des terres dans le Val d’Oise, de contracter des accords avec les agriculteurs pour faire de la production maraîchère et ainsi nourrir en bio notre territoire.

En régie municipale ?

C’est encore en réflexion, soit en régie municipale, soit en coopérative, avec lesquelles nous passerions des accords. Nous avons aussi le projet de terminer la construction du quartier des Chanteraines avec 1 500 logements, dont 50 % de logements sociaux et 50 % de logements en accession, livrés vers 2023-2024. Enfin, nous voulons aussi finir le centre-ville, avec normalement en juin l’ouverture de commerces proximité, qui va améliorer leur offre dans la ville. Nous allons achever la deuxième phase de ce centre-ville qui comprend en tout 600 nouveaux logements, avec la même répartition de pourcentage de logements sociaux et de logements en accession.

Avez-vous des sujets de copropriétés dégradées, d’habitats indignes, etc. sur lesquels vous agissez ?

Oui, nous avons résorbé 200 logements qui appartenaient à des « marchands de sommeil » sur les 1 000 logements dégradés à Gennevilliers. Nous avons moins de copropriétés dégradées qu’ailleurs car nous avons beaucoup de logements sociaux. C’est même l’une des explications de l’augmentation de ces derniers : à chaque fois que l’on rase des bidonvilles ou des copropriétés dégradées, nous les remplaçons par des logements sociaux. Nous avons plutôt des petites propriétés dégradées, soit des anciens bidonvilles, soit des petites maisons achetées.

En tant que patron d’une grosse administration comme celle de Gennevilliers, avez-vous des objectifs de transition énergétique, de réduction de votre empreinte carbone municipale importants ?

Nous avons déjà réalisé beaucoup de choses dans ce domaine. Nous sommes sans doute, par exemple, la seule ville d’Ile-de-France dont 66 % du réseau de chauffage urbain et collectif est alimenté par de la biomasse. Nous allons, par ailleurs, engager les travaux de rénovation énergétique de la Tour, construite en 1978, qui abrite la mairie. Je citerais aussi la végétalisation des cours d’écoles, la fin du projet de plantations de 500 arbres, annoncé il y a deux ans, sachant que nous allons annoncer un nouveau plan semblable à celui-là.

La rénovation thermique de la Tour bénéficie-t-elle des crédits du plan de relance ?

Non, il s’agit de décisions antérieures. Le plan de relance n’intègre pas les projets anciens. Et les 500 millions d’euros pour la rénovation énergétique des bâtiments communaux concernent toute la France. Ce n’est pas beaucoup. La rénovation d’une tour, c’est 45 000 euros par logement.

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