P. Depienne (Résilience urbaine) : « Il n’y a pas de limites à la végétalisation de la ville ! »

A l’origine du modèle Résilience urbaine développé par Les Urbaculteurs, Pascal Depienne est consultant et formateur en permaculture chez Avenir permaculture. Pour renaturer la ville, il préconise une approche écosystémique permettant de répondre aux besoins des citoyens, tout en respectant au mieux ceux des espèces végétales et animales.

Quelle vision portez-vous sur la renaturation en milieu urbain ? Quels enjeux présente-t-elle ?

L’approche privilégiée par Résilience urbaine considère la ville comme un écosystème au service des citoyens. Ses objectifs sont clairs : le stockage de carbone, la production alimentaire et l’accueil de la biodiversité. Travailler sur l’écosystème ville permet de transformer certains déchets en ressources : jusqu’à présent et pour des raisons légales, les bio-déchets sont quasiment impossibles à utiliser en agriculture urbaine, ce qui est absurde car cela permettrait de rendre très fertile le peu de foncier disponible en ville.

La valorisation de l’eau de pluie, considérée elle aussi comme un déchet depuis toujours, constitue un autre enjeu. Les surfaces de toiture récupèrent des quantités d’eau astronomiques sans aucun moyen de la stocker et de la déphaser pour la saison sèche. L’eau qui tombe sur les toits et que le sol artificialisé ne peut accueillir est redirigée vers des zones vivantes qu’elle va éroder en s’y déversant en surabondance. Stocker cette eau présente un intérêt avéré pour garder les sols vivants, maintenir la vie et la production pendant la saison sèche. Une troisième opportunité serait la présence du monde en ville : de fait, l’idée vise aussi à rassembler les gens autour de la production alimentaire, du mieux-vivre, du mieux-être, du bien-manger, et donc à créer du lien social.

Avec quel outil envisager la ville en tant qu’écosystème ?

La permaculture, car elle propose de répondre à nos besoins tout en respectant ceux des autres espèces, végétales comme animales. Elle s’intéresse également à tous les domaines des activités humaines, comme l’énergie, l’habitat, la mobilité… Pour ce qui est de la renaturation, il ne faut pas être hypocrite : partout où l’on a de la zone domestiquée, un écosystème autonome ne sera pas forcément possible. Il convient donc de créer des zones sauvages, des sanctuaires de biodiversité qui s‘autorégulent et dans lesquels on n’intervient pas du tout. Il y a le concept des mini-forêts mais aussi des mares de biodiversité, des haies plus épaisses et plus denses, des trames bleues, vertes, brunes et noires à mettre en œuvre. Côté agriculture, cette biodiversité interagit avec les cultures en favorisant les pollinisateurs et les espèces entomophages. Une agriculture qui n’est pas agroécologique est impensable à mes yeux.

Pascal Depienne. © Résilience urbaine

Que préconisez-vous pour réintégrer la nature en milieu urbain dense ?

La végétalisation des murs et l’utilisation de grimpantes ne devraient même plus faire l’objet de débats. Cela permet de garder la fraîcheur dans les bâtiments en été et d’héberger la biodiversité sur les façades. La ville en recèle un potentiel fou, notamment là où il n’y a pas de traitements chimiques liés à l’agriculture conventionnelle. Evidemment, il faut y aller doucement avec les citoyens mais, de mon point de vue, il n’y a pas de limites à la végétalisation de la ville, que ce soit en toiture, sur les murs ou en pied d’immeuble.

Notre approche tend notamment à zoner la ville, à cibler les espaces “agrémentaires”. Par exemple : mettre en place des bacs surélevés avec du broyat pour développer des plantes aromatiques en pied d’immeuble. Les zones de production de plantes vivaces seraient à séparer des zones de production d’annuelles (jardins partagés, familiaux, collectifs et individuels). Plus loin, le long des cheminements présentant un peu de pleine terre, on pourrait avoir des arbres fruitiers avec des buissons et des couvre-sol adaptés et ainsi cultiver toujours plus de strates. Des îlots de plantes comestibles seraient par exemple à imaginer : le fait d’avoir des végétaux qui produisent de la nourriture crée un lien entre l’homme et la nature, en donnant aux plantes une fonction autre que pour agrémenter.

De l’autre côté, il faudra aussi travailler sur l’imaginaire des gens : beaucoup aiment la nature en photo, mais pas les insectes qui s’y déploient ni les fruits qui, en tombant, finissent par salir les pare-brise. Arrêtons avec les petites ambitions ! Il faut passer ce cap et envisager la nature comme la vie ou comme les gens qu’on aime : avec les bons et les mauvais côtés.

Y a-t-il une surface idéale pour les zones de nature en ville ?

Toute zone qu’on plante ou qu’on laisse se végétaliser spontanément est un petit écotone. En revanche, dès qu’on arrive à une surface critique de 2 000 ou 2 500 m2, on peut installer un maraîcher et imaginer un modèle économique qui lui permette d’avoir une partie de ses revenus en services. Plusieurs de nos projets envisagent les professionnels de la culture avec des rôles différents, rendant service à la collectivité. Par exemple, en gérant des micro-stations de compostage et l’entretien du paysage. Nous nous inspirons du modèle des cantonniers de campagne qui réalisent l’ensemble des services sur les communes. D’autant que les agriculteurs ont un intérêt à produire du bon compost : ce sont eux-mêmes qui vont l’utiliser ! Cela garantit notamment un processus plus qualitatif et rapide : peu de pollution, d’odeurs, plus de volume traité et beaucoup moins de rats. Ces rôles attribués aux agriculteurs permettraient aussi de reconquérir de petites parcelles de terre, d’animer les jardins partagés et de sensibiliser la population aux fameuses Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Cette approche est donc vecteur de lien social et de sensibilisation à l’environnement de proximité.

A quels freins ces solutions se heurtent-elles ?

Tout est souvent cloisonné par le fonctionnement opérationnel des institutions, et très peu de gens ont une ingénierie systémique sur ces sujets. Les urbanistes n’ont par ailleurs pas de formation agronomique ou naturaliste. Nos solutions doivent être vues de manière globale. L’entretien des zones de verdure est coûteux pour les villes. Le système est mécanisé, bruyant voire polluant. Il pourrait être repensé en entretien productif : pourquoi ne pas envisager des vergers, de l’écopâturage, des fauches tardives et une gestion raisonnée de la tonte en zones agrémentaires ? A partir de 30 cm de hauteur d’herbe, la biodiversité explose !

Je travaille en tant que professionnel sur des aménagements de quartier avec la société Avenir permaculture : la végétalisation des murs est préconisée et des études en montrent les bénéfices. La dégradation des enduits est en réalité bien moindre qu’on ne l’imagine : dans certains cas, ils durent même plus longtemps couverts par une grimpante que sans. Des solutions existent sur quasiment tous les sujets mais l’on est encore trop frileux pour les mettre en action, et les maîtres d’œuvre rechignent à faire des choses qu’ils ne connaissent pas ou peu. Certains bureaux d’études justifient par ailleurs les surcoûts par l’aspect innovant des solutions qu’ils proposent. Or, si l’on veut vraiment que les choses avancent, encore faudrait-il les rendre accessibles et ne pas faire son beurre dessus…

Les collectivités franciliennes peuvent-elles se saisir du modèle proposé par Résilience urbaine ?

Bien sûr ! Il n’y a pas de limites à ce modèle et tout s’adapte en fonction du contexte. Il s’agit de se fixer des objectifs et de tout passer dans ce filtre. Evidemment, il ne faut pas fantasmer sur le jardinage, qui nécessite de l’entretien. Mais cela fait partie des choses qui nous soignent. Les citadins s’inscrivent en salle de sport mais imaginent jardiner sans désherber ou travailler physiquement ! Retourner un tas de compost, c’est un véritable exercice ! Ce que l’on peut percevoir comme des contraintes sont en réalité des solutions.

Cette réflexion globale manque en ville car l’urbain est peut-être trop détaché des saisons, des phénomènes naturels, des cycles solaires et lunaires. A la campagne, on subit beaucoup plus les aléas climatiques. La solution est dans le problème. Cela questionne aussi une certaine vision esthétique qui aime les choses bien rangées, bien coupées… C’est pourtant de la nature sauvage dont nous avons besoin. Pour cela, il faut être pionnier et Paris peut l’être ! Il suffit d’accepter que la nature reprenne ses droits, de réconcilier campagne et ville, le bon sens paysan et le côté optimisé urbain.

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