Les entretiens du journal du Grand Paris : APUI, l’innovation confrontée aux failles de la fabrique de la ville

Le pavillon Etoile (Paris 16e arr.) a fait salle comble jeudi 12 mai 2022 à l’occasion de la 3e édition des Entretiens du Journal du Grand Paris consacrée aux enseignements à tirer des APUI (appels à projets urbains innovants), organisés en nombre ces dernières années dans la région Capitale. Preuve, sans doute, que ce sujet passionne les acteurs du Grand Paris.

Ils étaient « ZAN avant le ZAN, puisque, bien souvent, ils concernaient une réutilisation de sites ». Pour autant, les lieux concernés par les différents APUI qui se sont succédé ces dernières années dans la région Capitale n’étaient pas toujours « zen » car souvent difficiles à aménager, pour différentes raisons. Cette conclusion de Sybil Cosnard, directrice générale de City linked, qui a présenté les résultats de l’ouvrage « Paroles à l’Apui » en introduction des Entretiens du Journal du Grand Paris le jeudi 12 mai 2022, a servi de tremplin à la discussion nourrie qui a suivi.

« Un Pacs de longue durée »

Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) d’Ile-de-France, a remercié City linked pour « cette étude rigoureuse, sérieuse, qui fait le tour de la question. A la FPI, nous allons nous plonger de plus en plus dans la data, car notre but est d’objectiver les choses pour travailler et construire la ville de demain beaucoup plus intelligemment qu’aujourd’hui », a-t-il poursuivi. De son point de vue, la démarche des appels à projets urbains innovants a péché sur deux points principaux : « c’était un partenariat public-privé, mais une seule partie s’est engagée, c’est le privé. Il faut laisser tomber la méfiance, considérer l’autre comme un partenaire, s’engager réciproquement, comme dans un Pacs de longue durée », a souligné le président de la FPI Ile-de-France. La deuxième grande lacune des APUI a résidé, a-t-il estimé, dans le manque d’implication des citoyens.

Sybil Cosnard. © Jgp

De g. à dr. Sybil Cosnard, Marc Villand, Hélène Peskine, Jacques Paquier, Nathalie Van Schoor et Stéphane Lecler. © Jgp

« L’enthousiasme politique pour faire vivre la métropole n’a pas été appuyé par un travail préalable. Or le citoyen ne veut plus de projet ». Pour « passer la barrière citoyenne, j’appelle à une révolution. Il faut changer nos outils d’urbanisme complètement dépassés, le citoyen a besoin de comprendre globalement, et il faut nous donner les outils pour le consulter et faire accepter nos projets », a conclu Marc Villand.

Tous les projets arrêtés ne sont cependant pas imputables à des contestations. « Certains sites n’étaient pas appropriés, cela été particulièrement vérifié pour l’opération Réinventer la Seine », a noté Bruno Halluin, directeur général de Dream, qui a souligné également le coût économique impliqué par la durée parfois très lente de maturation des projets ainsi que la fatigue des équipes impliquées sur des trop longues durées.

« Mais les problèmes de concertation avec les riverains sont l’un des quatre facteurs qui ont contraint à revoir en profondeur certains projets », a complété Loïc Madeline, directeur général délégué de Sogeprom. Les trois autres étant l’inadéquation entre la charge foncière et le projet initial, la différence entre le temps politique – perturbé par les élections municipales – et celui des projets, et, enfin, des réglementations ou des plans locaux d’urbanisme parfois inadaptés. A l’inverse, si la maîtrise foncière des lieux est bien assurée, et que les projets bénéficient d’un vrai portage politique qui rend plus simples les éventuels changements de réglementation locale, les projets se déroulent de façon bien plus fluide, a témoigné Charles Toulat, directeur général délégué d’Atland. Lauréat de trois projets d’Inventons la métropole du Grand Paris, le promoteur finalise la concrétisation du premier et a obtenu, ou est en cours d’obtention, du permis de construire sur les deux autres.

Pallier un manque d’innovation

Des bains-douches Castagnary, dans le 15e arrondissement de Paris, à Edison Lite (13e arr.) , en passant par le Relais Italie et la gare Masséna (13e arr.), la ferme du Rail, l’îlot fertile (19e arr.) ou encore la Compagnie des philanthropes (5e arr.) et Morland mixité capitale (4e arr.), Stéphane Lecler, directeur de l’urbanisme de la ville de Paris a cité plusieurs exemples de « Réinventer » réussis. Du reste, environ un quart des projets lauréats parisiens sont ou seront livrés d’ici à la fin de l’année, et seulement 15 % sont infructueux.

« C’est un outil complémentaire des grandes opérations d’aménagement », a-t-il argué, rappelant que les APUI avaient vu le jour à une époque « où on avait l’impression que le secteur de l’immobilier n’était pas très innovant, moutonnier, avait du mal à se projeter en matière d’animation des rez-de-chaussée, de décarbonation, de mixité des usages ». Ces démarches ont poussé les promoteurs « dans leurs retranchements » en les forçant à innover, en contrepartie d’une certaine décôte foncière. Qu’il s’agisse des techniques constructives ou des usages, « des choses qui étaient impossibles à l’époque sont devenues la norme », a-t-il assuré.

Marc Villand. © Jgp

Nathalie Van Schoor. © Jgp

Stéphane Lecler.© Jgp

Hélène Peskine. © Jgp

Mais « certains projets étaient d’une taille si grande qu’ils ne relevaient pas des promoteurs mais plus des aménageurs. Cela nécessitait un temps (trop) long et beaucoup d’énergie », a, de son côté, admis Nathalie Van Schoor, directrice générale adjointe de la Métropole du Grand Paris. Cependant « il n’y a pas d’innovation sans risque, et c’est la vocation de ces APUI d’innover, de déranger », a-t-elle ajouté. Sur ce sujet, cependant, la Métropole a été un peu déçue : « il y a eu des innovations techniques et en matière de transition écologique, mais peu en matière sociétale et de transformation des usages ». Point positif cependant, les « Inventons la métropole du Grand Paris » ont permis de mobiliser les élus, et du foncier public qui, sinon, serait dans certains cas resté inutilisé. « Mais il faut sans doute être davantage attentif au contexte, aux attentes de la population. Enfin, certains IMGP n’ont vraisemblablement pas été lancés au bon moment, à la proximité d’élections ayant parfois conduit à des changements de maires ». Promis, pour IMGP 3, le travail de maîtrise du foncier en amont a bien été réalisé et les enseignements des premières éditions tirés.

Sortir de la standardisation

Les APUI sont arrivés dans un contexte bien particulier, a pointé Hélène Peskine, secrétaire permanente du Puca (Plan urbanisme construction architecture). « Au milieu des années 2010, beaucoup de très grandes opérations étaient livrées dans beaucoup d’endroits en France, et l’on constatait une espèce de standardisation un peu ennuyeuse. Ceci a poussé à une nouvelle forme de réflexion sur la ville ». D’où la mode de la smart city mais aussi la floraison des appels à projets urbains innovants. « On est dans un moment où l’on essaie de transformer la manière de fabriquer la ville », a souligné l’oratrice. Une démarche sur laquelle le Puca s’est penché en 2019 en produisant une étude intitulée« Réinventer les villes : effet de mode ou vraie transformation ».


 

Mais une autre opération organisée par le Plan urbanisme construction architecture mérite qu’on s’y intéresse : il s’agit de l’opération « Réinventer les cœurs de ville », lancée en 2018 à la demande du ministère dans les petites et moyennes villes. Une quarantaine de concours, sur autant de sites, ont ainsi été lancés et une vingtaine ont vu le jour. Ces réalisations « ont  permis de comprendre les difficultés du recyclage urbain » -puisque, bien souvent, il s’agissait de donner une seconde vie à des bâtiments, et ce, avec des prix de sortie souvent très modestes. Préfigurant ainsi ce que peut être la fabrique de la ville à l’heure du ZAN. Sensibilisé, l’État a « montré son agilité », a estimé la secrétaire permanente du Puca, puisque, de ces opérations est née l’idée du fonds friche mis en place à l’occasion de France relance.

Et de fait, a convenu Marc Villand en guise de conclusion, « les APUI représentent avant tout une mobilisation du secteur public sur ses fonciers », incarnant « le rôle du public à l’époque du ZAN pour faire la ville de demain ».

Sur le même sujet

Top