Gaspard Delanoë : le vétéran des squats d’artistes alerte sur la gentrification

Avec les Grands Voisins, Ground Control et la charte signée par la ville de Paris le 26 août 2019, l’occupation temporaire a le vent en poupe. Dans les immeubles vacants parisiens commence peu à peu à émerger une vie sociale, associative ou artistique. Mais Gaspard Delanoë, responsable de la galerie d’art et ancien squat du 59 rue de Rivoli, vétéran du genre, dénonce une gentrification rampante via « des parcs à bobos à 5 euros 50 le demi ».

Le 26 août 2019, Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, signait avec la Ville et 18 promoteurs une charte favorisant l’occupation temporaire d’immobiliers vacants dans la capitale. A cette occasion, les jeunes acteurs de l’occupation temporaire telle que la société collaborative Plateau urbain était représentée.

Gaspard Delanoë rappelle cependant que cette pratique existe depuis près de 30 ans et s’étonne de ne pas être associé à l’initiative. Blouse blanche d’ouvrier, écharpe rose fuchsia, bonnet de forçat, Gaspard Delanoë est tout à la fois artiste, militant, poète, homme politique au Parti faire un tour (PFT) qui fit 3,17% aux municipales de 2008. Dans l’esprit d’un Robin des bois, il joue à la limite de la légalité afin de faire avancer ses idées.

Gaspard Delanoë. © Jgp

Au Jardin Denfert. © Jgp

Free shop au Jardin Denfert. © Jgp

Dans le squat d’artistes du Jardin Denfert (14ème arr.) il est chez lui. C’est lui qui a, en effet, initié l’ouverture de cet ancien couvent du boulevard Saint-Jacques au début du mois de juillet 2019, mis à la disposition d’une cinquantaine d’artistes. Le cinquantenaire n’en est pas à son coup d’essai. Le 1er novembre 1999, il avait déjà forcé la porte de l’immeuble haussmannien du 59 rue de Rivoli (1er arr.). Ce bâtiment laissé à l’abandon pendant 8 ans par le Crédit lyonnais est devenu par la suite un des lieux mythiques de l’art alternatif parisien jusqu’à être finalement légalisé par une convention avec la ville de Paris.

« Gentrification pure et dure »

Malgré son allure déjantée et décalée, Gaspard Delanoë s’exprime de manière calme, sérieuse et éloquente quand il s’agit de défendre ses idées de droit à la ville. « Au Jardin Denfert, la Ville nous a dit qu’elle avait le budget et les plans pour bâtir une résidence pour jeunes travailleurs. Nous nous sommes donc engagés avec elle à partir le 1er décembre si les travaux démarrent pour de bon ». Mais il refuse d’être remplacé par les nouvelles structures à la mode de l’occupation temporaire telles que Concrete ou Ground control qu’il qualifie de « parcs à bobos à 5 euros 50 le demi » comme cela s’était produit à la friche Neter, avance-t-il.

Son collectif d’artistes a été, selon lui, évincé de ce terrain du 12ème arrondissement par des occupants plus rémunérateurs : « C’est de la gentrification pure et dure, c’est comme ça que l’on exclue certaines populations de la capitale », s’insurge-t-il. « Il faut faire attention de ne pas poursuivre ce tri sélectif de ceux qui peuvent vivre dans Paris », ajoute-t-il.

Bar à cocktail à Ground Control. © Jgp

Samedi soir à Ground Control. © Jgp

Se réapproprier la lenteur

Son expérience du squat, il la démarre en 1993 au Garage Saint-Ouen (17ème arr.). « J’ai tout de suite compris que c’était les seuls espaces de vraie liberté dans la ville. Des lieux où on pouvait encore inventer quelque chose. Des espaces ouverts qui échappent au marché », se souvient-il. La Petite roquette, Le jardin d’Alice, La grange aux belles, il écume les squats d’artistes durant ces années jusqu’à ouvrir son premier lieu rue de Rivoli. « Ces initiatives attirent de nombreux artistes européens en France qui n’ont pas ça dans leur pays », s’enthousiasme-t-il. Cette spécificité parisienne est due, selon lui, aux mandats de Bertrand Delanoë qui fut le premier à accepter de signer des conventions avec les squats.

« Ces lieux posent une question à la société, celle du droit à la propriété illimitée qui laisse des personnes en situation de grande précarité lorsque des immeubles entiers restent vides plusieurs décennies dans Paris », revendique-t-il.

« On doit se réapproprier la lenteur, la vitesse est un facteur d’abrutissement. Les squats sont des ralentisseurs pour permettre la réflexion », ajoute-t-il enfin, et c’est en effet la sensation qui se dégage de ces lieux hors du temps.

En Ile-de-France, de nombreux sites artistiques alternatifs, conventionnés ou non, restent aujourd’hui ouverts au public tel le Landy sauvage, lieu à l’atmosphère apaisante au milieu de l’effervescence de la Seine-Saint-Denis, qui propose la vente de fruits et légumes du producteur au consommateur, des ateliers de réparation de vélo, de cirque, de yoga et même des cours de français. A Malakoff, c’est dans la cour de l’Aubergine 3000 que l’on peut venir rencontrer des artistes et se rendre régulièrement à des concerts de musique « dub ».

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