Esther Benbassa – Mascotte intello

Mascotte intellectuelle du Sénat, comme elle se définit elle-même, « sénatrice des sans-voix », Esther Benbassa ne se lasse pas de combattre pour les délaissés. Avec une douceur déterminée.

On l’écouterait des heures conter avec cet accent inimitable, ce regard lumineux et perçant, son enfance à Istanbul, le départ de sa famille d’Espagne, en 1492, pour le Levant où la Turquie accueille à bras ouverts les juifs fuyant les pogroms. Esther Benbassa, sénatrice du Val-de-Marne, est chez elle dans la cafétéria du Palais du Luxembourg, où le velours rouge et les dorures lui vont comme un gant. « Je suis la mascotte intellectuelle ici », dit celle que l’on appelle « la sénatrice des sans-voix ». Réfugiés, immigrés, LGBT, celle qui était ce lundi 26 juin à Calais, sur les pas de Gérard Collomb, est de tous les combats contre l’injustice. « Je me reconnais dans l’idéal des intellectuels juifs du XIXe siècle, Marx, Trotski, Zinoviev, selon lequel on ne peut changer sa condition sans changer celle des autres. » C’est par hasard qu’elle est entrée en politique, à l’invitation de Sergio Coronado, proche d’Eva Joly. « Je suis une intellectuelle publique, dit cette professeur d’histoire des religions à la Sorbonne (EHESS), j’écrivais beaucoup sur les réfugiés, c’est sans doute pour cela que les Verts sont venus me chercher. » « C’est désormais ma famille », dit-elle.

Esther Benbassa

Esther Benbassa, sénatrice (EELV) du Val-de-Marne. © JGP

Tordre le cou à des idées reçues constitue sa spécialité. Esther Benbassa, qui parle sans jamais vous quitter des yeux, avec une bienveillante curiosité, s’est fait connaître sur la scène intellectuelle en révélant que les Sépharades avaient été nombreux à s’engager dans le sionisme. Contrairement à un cliché qui leur vaut une place de second rang dans la hiérarchie politique israélienne. Sa thèse sur Haïm Nahum, érudit juif du début du XXe siècle, lui vaudra ainsi une place de directrice de recherche au CNRS. Elle peste contre l’idée d’un périurbain qui voterait unanimement pour les extrêmes, autre idée reçue, alors qu’elle voit dans la France périphérique des réalités plus hétérogènes qu’on ne le dit. Et une énergie folle, qu’il faut encore développer.

Cette écologiste se félicite qu’Uber ait permis à des milliers de jeunes de travailler 15 h par jour pour gagner 1 500 euros par mois plutôt « que de vendre du shit ». Modérément macroniste, elle raille ces députés recrutés sur Internet, prétendument comme dans les start-up californiennes. « Ce qui est faux, les entrepreneurs américains accordent de longs entretiens avant de recruter quiconque. » « Il faut aider Hulot à réussir ses projets », estime-t-elle néanmoins, inquiète face au désespoir des habitants qu’elle a sondés sur les marchés, en accompagnant les candidats EELV en campagne pour les législatives.

Egoïsme français

Pourquoi la France, alors que la bourse décrochée à l’université de Jaffa, en Israël – qu’elle rejoignit à 15 ans pour suivre ses études – lui permettait d’aller également aux Etats-Unis ? Peut-être le souvenir de son père, négociant et fils de pêcheur, juif d’origine bulgare, qui ne parlait jamais sans larmes aux yeux de la réhabilitation du colonel Dreyfus.

Esther Benbassa, qui vilipende l’égoïsme français face aux migrants, rappelle que notre pays n’a jamais montré un goût réel pour l’accueil, contrairement à une autre idée reçue. Elle cite le sort réservé aux immigrés espagnols fuyant le franquisme, ou la conférence d’Evian lors de laquelle la France tourna le dos aux réfugiés. Elle se souvient du blâme qu’elle reçut lorsque, professeur de lettres dans un établissement d’Evreux, on lui reprocha un accent jugé alors incompatible avec l’enseignement de la littérature française. Tout cela étant dit avec une douceur de miel.

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