Daniel Weizmann et Eric Balci, respectivement président du conseil d’administration et directeur général d’in’li, détaillent la stratégie et le nouveau modèle économique du groupe, acteur majeur du logement à prix maîtrisé en Ile-de-France et désormais à l’échelle nationale. Face au retrait des investisseurs institutionnels, la filiale d’Action logement renforce son rôle de foncière résidentielle de développement, en visant une production annuelle de 4 000 nouveaux logements et en développant l’accession à la propriété. Les deux dirigeants plaident pour un engagement renforcé des collectivités et de l’Etat afin de répondre à une crise locative structurelle.
Quel est aujourd’hui le rôle d’in’li dans l’écosystème du logement ?
Daniel Weizmann : In’li a été conçu pour répondre à un besoin croissant de logements à loyers modérés pour les salariés du privé, qui sont trop « riches » pour le logement social, mais trop « pauvres » pour se loger correctement dans le parc privé. Aujourd’hui, un jeune cadre célibataire ou un couple avec enfants, qui gagne entre 2 000 et 4 500 euros par mois, peut difficilement se loger décemment dans les grandes métropoles. Nos loyers, en moyenne 10 à 15 % en dessous du marché, comblent ce vide. Nous sommes un chaînon manquant entre le logement social et le logement libre. Le logement intermédiaire n’est pas seulement un produit immobilier, c’est un outil de politique publique et de compétitivité économique. C’est ce que nous faisons valoir aux collectivités, mais aussi aux entreprises. Beaucoup n’arrivent plus à recruter, simplement parce qu’il n’y a pas de logement disponible à proximité. Loger les salariés, c’est favoriser la croissance, la cohésion territoriale et la transition écologique par une moindre dépendance à la voiture.
Votre modèle a été bouleversé ces dernières années. Comment y avez-vous répondu ?
Eric Balci : Jusqu’en 2022, notre développement reposait en grande partie sur des partenariats avec des investisseurs institutionnels. Ils apportaient les fonds, nous assurions le développement et la gestion. Mais la hausse brutale des taux a dissuadé ces acteurs, qui se tournent désormais vers des produits plus liquides et aussi rentables. Cela nous a conduits à changer de modèle : nous sommes revenus à une production plus intégrée, en propre, sur notre bilan.

Daniel Weizmann (à dr.) et Eric Balci (à g.), respectivement président du conseil d’administration et directeur général d’in’li. © In’li
D.W. : Ce virage n’aurait pas été possible sans une recapitalisation d’in’li par Action logement et la structuration d’un groupe à vocation nationale. Cette transformation nous permet de développer massivement notre offre de logement à prix maitrisé partout en France. Désormais, nous visons la production de 4 000 logements par an, dont environ 70 % en Ile-de-France. A côté de la production neuve, nous avons aussi engagé une politique active de cession afin d’accompagner l’accession à la propriété, pour faire évoluer notre parc, le réorienter vers notre cible, et renforcer nos capacités financières.
Quels sont vos outils pour y parvenir ?
E.B. : Nous mobilisons trois leviers : la vente à l’unité à nos locataires après 11 ans de détention du bien, ce qui correspond à notre ADN de créateur de parcours résidentiel ; la vente en bloc à des bailleurs du groupe Action logement avec notre parc le plus proche du social, que nous avons hérité de nos prédécesseurs ; et la diversification des usages. Nous développons par exemple des résidences pour saisonniers ou jeunes actifs, avec des durées de bail courtes, adaptées aux mobilités professionnelles.
Et sur le plan fiscal, conservez-vous des avantages compétitifs ?
D.W. : Le logement intermédiaire bénéficie d’un cadre fiscal favorable, mais raisonnable : TVA réduite à 10 % et crédit d’impôt compensant la taxe foncière, contrairement au logement social qui en est exonéré. Ces mesures permettent d’atteindre l’équilibre économique, sans faire peser de risque sur les finances publiques locales. Elles sont donc bien acceptées par les élus, d’autant plus que, contrairement à certaines idées reçues, nous versons bien des taxes aux collectivités.
E.B. : L’Etat soutient cette offre à travers le Pacte pour le logement intermédiaire signé en mars 2024. Ce soutien est précieux, mais reste limité par rapport à celui du logement social. Notre modèle est résilient : même en l’absence d’aides, nous parvenons à louer sans difficulté. Le taux de vacance est inférieur à 2,5 % et nos annonces postées sur inli.fr reçoivent plusieurs dizaines de candidatures en 24 heures.
Comment êtes-vous perçus par les maires ? Leur adhésion est-elle acquise ?
D.W. : Il y a quelques années encore, certains élus étaient méfiants : le logement à prix maîtrisé apparaissait comme une « demi-solution », ni social, ni totalement libre. Cette époque est révolue. Les maires savent aujourd’hui que cette offre leur permet de loger une population qui participe à la vie économique locale, d’enrichir la mixité sociale et de rééquilibrer leur parc. A Sartrouville [Yvelines], Aulnay [Seine-Saint-Denis], Gennevilliers [Hauts-de-Seine] ou Massy [Essonne], nous travaillons dans un climat de confiance.
E.B. : Ce qui change, c’est aussi le profil des demandeurs. Longtemps, les élus ne voyaient frapper à leur porte que des ménages très modestes. Aujourd’hui, ce sont des infirmiers, des jeunes ingénieurs, des mères célibataires salariées. Il n’y a plus d’offre pour eux. Le logement privé se réduit, le Pinel a disparu, l’accession est hors de prix. Nous sommes parfois leur seule solution.
Comment cela se traduit-il dans vos projets ?
E.B. : Nous développons des projets sur mesure, avec une part croissante de production en direct. En Ile-de-France, nous sommes présents sur des opérations emblématiques à Suresnes (transformation de bureaux en logements), à Paris 19ᵉ (réhabilitation, surélévation, construction), ou à Nanterre (anciens bureaux de Veolia transformés en résidence mixte). Ce sont des projets qui cochent toutes les cases de la ville durable et mixte : recyclage urbain, densification intelligente, offre locative à prix maîtrisé.
D.W. : Et surtout, nous renforçons notre présence nationale. Notre développement se fait désormais sur des territoires où les tensions locatives ont fortement augmenté ces dernières années : Saint-Nazaire, Rennes, Nantes, la région lyonnaise, l’Occitanie. Nous avons rencontré des entreprises comme Airbus, Naval Group ou Pierre Fabre, prêtes à co-investir pour loger leurs salariés. Cette dimension nationale nous permet aussi d’être plus écoutés par les pouvoirs publics.
Quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?
E.B. : D’abord, atteindre et stabiliser notre rythme de production à 4 000 logements par an, tout en maintenant un équilibre financier solide. Ensuite, investir dans l’innovation : modes constructifs industrialisés, partenariats avec des entreprises locales, diversification des usages. Et bien sûr, continuer notre effort de rénovation – 2 100 logements par an – pour maintenir un parc performant sur le plan énergétique : 50 % de nos logements sont déjà classés A à C.
D.W. : Enfin, il faut renforcer le lien emploi-logement. Nous allons intensifier nos partenariats avec les entreprises, travailler avec les établissements publics d’aménagement, comme à Saclay, où le manque de logements freine désormais l’implantation de laboratoires et de sièges sociaux. Le logement à prix maîtrisé est un levier économique, un outil de régulation du territoire et un facteur de cohésion sociale. Il est temps qu’il soit reconnu comme tel dans les politiques publiques.