Forts d’un book étoffé de nombreuses réalisations qui font dialoguer les échelles, de la ZAC aux projets plus intimes, Guillaume Dujon et Matthieu Hackenheimer (Architectes Singuliers) conçoivent leurs programmes avec une prise en compte du contexte poussée à l’extrême et une grande sensibilité, employant leurs talents multiples dans un seul but : le confort d’usage et l’art d’habiter ensemble.
Dans leur agence de Paris Centre, à deux pas de la Bourse de commerce, aux grands panneaux boisés, les mots reviennent comme des leitmotiv chez Guillaume Dujon et Matthieu Hackenheimer : l’humilité, la minutie, l’agilité, l’attention au contexte et l’effacement des égos. Il s’agit d’atteindre un objectif sans cesse réaffirmé : la qualité d’usage, l’intégration visuelle et le bonheur d’habiter. Classique ? Pas à ce degré. Ni avec cette constance, cette sincérité palpable et étayée. Les deux architectes illustrent leurs convictions dans chacun de leurs projets, qu’ils décrivent comme autant d’étendards de leur savoir-faire, acquis en jonglant avec les échelles.
Des coeurs d’îlots en chapelet
Ainsi, dans le bas-Montreuil (30 logements crèche et jardins, rue Douy-Delcupe pour Cogedim), ils conçoivent un projet qui anticipe les évolutions différenciées du tissu avoisinant en mutation, où chaque parcelle évolue à son rythme. « Par son implantation, notre programme laisse la liberté d’une réorganisation future de l’îlot, souligne Guillaume Dujon. La création d’espaces végétaux en prolongement de ceux des îlots voisins, existants ou à venir, doit permettre que les arbres se mettent en symbiose, grâce à une agilité morphologique, pour des cœurs d’îlots en chapelet », poursuit l’architecte.
A Marseille, pour le programme Parc des arts (170 logements dans le diffus pour Icade), ils dessinent un programme composé de plots, traités en gradins, pour rendre possible la création de multiples percées, à la fois visuelles et végétales « conférant à l’opération une réelle sensation de vivre à l’ombre des pins ». Leur projet se substituera à un ensemble de bureaux construits dans les années 1960. Il s’articule autour de la culture et de la création. « Sa morphologie et ses aménités sont conçues pour créer les conditions de son acceptabilité par les habitants », résument-ils. L’ensemble comporte plusieurs lofts, des ateliers d’artistes ouverts sur le quartier, des résidences temporaires prêtées à des créateurs.
Des traversées pour les voisins
Le projet consiste d’abord à transformer le bâti existant, mais ses contraintes structurelles proscrivent sa division, interdisant toute percée visuelle. Au terme de trois ans d’échanges avec la Ville et l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale, ils changent leur fusil d’épaule et conçoivent un programme plus fragmenté, où la végétation peut pénétrer et créer des traversées pour les voisins. « Nous avons besoin d’une conviction, à chaque fois, d’une idée-maîtresse qui tire notre travail, mais nous ne nous attachons pas à une idée si elle perd de sa justesse », note Matthieu Hackenheimer.
A Paris, dans le 12e arrondissement (48 logements intermédiaires pour In’li), leur projet actuellement en chantier s’articule autour de l’idée de scinder en deux blocs distincts le bâtiment, pour offrir aux habitants plus d’air, plus d’arbres, plus de pleine terre, quand les projets concurrents occupaient tout le linéaire. Ils veillent aussi à conserver l’accès au ciel, précieux pour les habitants, dans ce tissu faubourien d’échelle assez basse. Guillaume Dujon décrit un projet apaisé, « aux antipodes d’une architecture voyante, égocentrique, plus préoccupée d’assurer le prestige d’une signature que le confort des résidents ».
Jongler entre les échelles
Cette maîtrise technique, cette volonté acharnée de digérer les contraintes techniques d’un site pour les gommer, les deux architectes expliquent la devoir aux allers-retours effectués depuis la création de l’agence, en 2015, entre des commandes d’échelles variées.
A peine lancée sur les fonts baptismaux, la structure remporte la conception du programme d’une ZAC à Toulouse, de 420 logements, pour Nexity. Les architectes y soignent en particulier la vue des immeubles telle qu’elle se donne aux habitants, de l’espace public, veillant à dessiner des gabarits et des épannelages qui offrent une respiration urbaine, malgré une certaine hauteur (R+14). L’adjointe toulousaine à l’urbanisme leur confiera que c’est leur singularité et leur agilité à imbriquer les échelles, pour rendre la perception de hauteur et de densité plus favorable, qui leur a valu d’être retenus. « Nous aimons étonner pour émouvoir, transmettre nos émotions, décrit Guillaume Dujon, plutôt que de respecter les fiches de lot au pied de la lettre ». « Nous prenons systématiquement le parti de l’usager, du piéton », ajoute Matthieu Hackenheimer. Les deux associés confient leur goût du concours, qui les tire vers le haut, les oblige à innover sans cesse.
Une architecture bas-carbone
Architectes singuliers s’inscrit résolument dans une architecture bas-carbone, sans esprit de système, mais en saisissant les opportunités qu’offre chaque projet. Et en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des matériaux choisis. Rue de la Voute, dans le 12e arrondissement de Paris, pour les 50 logements conçus par l’agence pour In’li, le choix de la pierre semi-porteuse s’explique notamment par la proximité des carrières franciliennes. Le recours aux briques de terre crue produites à Sevran avec les excavations du Grand Paris express, dans le cadre de Cycle terre poursuit le même objectif de réduction de l’empreinte carbone des bâtiments. Comme le martèlent les deux architectes, chaque gramme de carbone compte !
Les 15 architectes qui composent l’agence, s’attachent à promouvoir une vision partagée de l’architecture pour embarquer toutes les parties prenantes, tout en exploitant nativement les outils 3D – BIM au service d’une conception vertueuse et innovante. « La justesse d’une proposition découle selon nous de son élaboration collective », concluent les deux architectes. « Notre obsession est de réussir à faire en sorte que le bâtiment traverse les années, pas seulement ses aspects techniques, mais surtout ses usages », résume Matthieu Hackenheimer. « Nous privilégions les valeurs rationnelles du site et de son contexte, ajoute Guillaume Dujon, que nous enrichissons de l’expérience partagée avec toutes les parties prenantes, pour inventer des projets au caractère unique et intemporel, porteurs d’une histoire audacieuse, inclusive et singulière ».
Guillaume Dujon, président d’Architectes singuliers, a achevé sa formation au Japon où il a découvert une architecture minutieuse et indissociable de son environnement naturel, notamment auprès de Kengo Kuma. « Une idée maîtresse limpide et des convictions affirmées qui irriguent chaque étape du projet », dit-il pour définir le génie de l’architecture nipponne, qui sait s’affranchir des contraintes, « pour mettre l’emphase sur la singularité de l’histoire ». Guillaume Dujon a œuvré notamment au sein de l’agence Louis Paillard, où il mène des projets d’urbanisme, puis Brenac & Gonzalez, où il s’imprègne de leur sens aigu du détail et de la rigueur.. « Je n’adhère pas au mythe de l’architecte qui passe des nuits blanches à créer des œuvres comme un artiste maudit. Je crois au travail d’équipe et au partage », dit-il.
Associé et directeur de l’agence, Matthieu Hackenheimer a collaboré dans de grandes agences européennes (OMA, Xaveer de Geyter) sur des projets d’échelle métropolitaine. Les deux compères disent se compléter parfaitement, « Lui méthodique et rassurant, moi plus discursif et fougueux. », résume Guillaume Dujon.