Comment faire de l’axe Seine un territoire davantage autonome énergétiquement ? Autour de cette question, les participants à la table-ronde consacrée à l’énergie ont débattu des propositions des groupes de travail en amont du 4e Sommet de l’axe Seine articulées autour de trois piliers : favoriser l’énergie locale et non-délocalisable, travailler sur l’acceptabilité sociale des projets et promouvoir la sobriété.
Le territoire de la vallée de la Seine dispose d’un potentiel important d’énergies renouvelables, a rappelé Frédéric Moulin, en introduction de la table-ronde consacrée à l’énergie. Mais « c’est aussi un espace qui accueille des grands systèmes industriels mondialisés qui renvoient à des enjeux énergétiques qui ne peuvent pas être pensés qu’à l’échelle locale », a ajouté le délégué territorial Val-de-Seine de GRTgaz. Il faut donc, selon lui, intégrer ce potentiel de production locale – électrogazéification, méthanisation… – dans une approche plus globale.
Le développement des énergies renouvelables à l’échelle locale nécessite par ailleurs de disposer de foncier. A ce titre, la reconversion des friches est un enjeu stratégique, a relevé Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France, soulignant que 50 000 ha seraient mobilisables sur le territoire. Un potentiel qui ne demande qu’à être valorisé, sachant, comme l’a indiqué Pierre-Yves Dulac, directeur régional délégué Ile-de-France d’Engie, à propos d’un projet « bien avancé » de ferme photovoltaïque de 56 ha à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), qu’« un mégawatt solaire, c’est un hectare et un million d’euros d’investissements ».
Face à ce double objectif de mobiliser du foncier et de tendre vers la neutralité carbone, TotalEnergies a pour sa part engagé la transformation d’un dépôt pétrolier à Aubergenville (Yvelines). « Nous avons mis en place la plus grande centrale photovoltaïque d’Ile-de-France, a présenté Elisa Coeuru, directrice régionale Ile-de-France de TotalEnergies. Nous avons par ailleurs sur le site un projet de méthaniseur et, demain, les anciennes cuves de pétrole serviront à accueillir le carburant produit à partir d’huiles alimentaires usagées et de graisses animales et destiné au secteur aéroportuaire ».
Penser le mix énergétique
Outre la production, l’enjeu du foncier et des infrastructures est également important pour les réseaux, a quant à lui signalé Vivien Molinengo, responsable affaires publiques Ile-de-France de RTE : « Quand on regarde la zone du Havre ou celle de Port-Jerôme-sur-Seine, on est sur des zones encore beaucoup émettrices de gaz à effet de serre avec une consommation majoritairement carbonée mais qui ont engagé une transition vers la décarbonation, notamment à travers l’électrification de leur process industriels. Cela nous amène à penser que les consommations électriques sur cette zone vont être doublées, voire triplées du fait de cette reconversion et, derrière, cela nécessite que les réseaux puissent répondre à ces nouveaux besoins. Pour anticiper ces derniers et dimensionner au plus juste les réseaux, il y a aussi tout un travail à mener avec les parties prenantes ».
Il va par ailleurs falloir être en capacité d’intégrer massivement les ENR, a indiqué Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis : « On sait que l’électricité aujourd’hui, c’est 25 % de l’énergie en France et que, en 2050, ce sera au minimum 55 %. Ce qui va nécessiter de raccorder chaque année 5 GW, sachant que nous en avons raccordés 3,7 en 2022, qui a été une année record ». Autre travail d’anticipation à mener : celui du mix énergétique. Car « il faut éviter de tomber dans un mix impensé, a prévenu Frédéric Moulin. En Vallée de Seine, une grande partie des process industriels vont être très difficiles à électrifier et si en 2050 l’énergie sera à 55 % électrique, les 45 % restant ne sont pas pensés ».
Changer le récit de la transition énergétique
Autre sujet abordé, la question de l’acceptabilité sociale des projets d’énergie renouvelable par les citoyens. « La méthanisation est plus simple à mettre en œuvre à certains endroits qu’à d’autres », a observé à ce titre Daniel Guiraud, vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à la transition écologique, à la qualité de l’air et au développement des réseaux, citant le projet d’usine de méthanisation porté par le Syctom à Romainville (Seine-Saint-Denis) qui a dû être abandonné en raison du rejet de la population.
C’est souvent l’intégration paysagère qui fait obstacle, a confirmé Jérémie Almosni, d’où l’importance, dans l’accompagnement des projets, de « bien prendre en compte la réalité sensible du territoire qui est en jeu » mais aussi de « réinventer la place du citoyen, une des clés de voûte qui permettra l’adhésion ».
Vivien Molinengo, de RTE, a quant à lui signalé la nécessité de privilégier « une approche par les récits pour construire cette acceptabilité et cette désirabilité des différents scénarios de transition ». Rebondissant sur cette question du récit, Frédéric Moulin a estimé qu’il fallait trouver d’autres moyens pour expliquer comment le développement de filières locales d’énergies contribuait concrètement à la transition écologique, prenant l’exemple de de la filière méthanisation : « la moitié des bus d’Ile-de-France mobilités vont bientôt rouler rouler avec du biogaz produit dans la région. Si plutôt que d’afficher “100 % biométhane” sur un bus, on écrit qu’il roule grâce à du gaz produit en Ile-de-France, le récit n’est pas tout à fait le même ».
Dépasser le stade de la sobriété conjoncturelle
Un travail de pédagogie également à développer s’agissant de la sobriété, pour que celle-ci soit mise en œuvre au quotidien, pas seulement de façon conjoncturelle comme l’hiver dernier pour faire face à la flambée des prix de l’énergie et au risque de saturation des réseaux lors des pics de froid, ont relevé les intervenants. S’agissant des collectivités locales, Enedis leur a dédié un portail leur donnant accès à leur consommation et à leur compte de charges, a illustré Frédéric Courault : « On sait qu’à partir du moment où on regarde ses consommations on va les baisser de 10 %. Après on leur propose aussi des services, par exemple d’éteindre l’éclairage public pendant la nuit. »
Sur la question de la sobriété, il y a un vrai changement de paradigme, constate Vivien Molinengo : « en 2021, quand on a sorti notre étude sur les scénarios permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050, la sobriété était présentée comme facilitatrice pour atteindre la neutralité carbone. Aujourd’hui, la sobriété est mise au même niveau que l’efficacité énergétique ou le développement des énergies décarbonées, c’est un levier qui doit être rendu essentiel ». Ce qui passe par des changements culturels, organisationnels, plus profonds, « qui sans doute nécessitent plus de temps à engager, avec l’appui de politiques publiques pour accompagner leur mise en œuvre ».
A la question de savoir si la sobriété imposée de l’hiver dernier est en passe de se transformer en une sobriété davantage choisie, Daniel Guiraud s’est montré dubitatif: « il reste beaucoup de chemin à faire pour dépasser le stade de la perception de la sobriété seulement conjoncturelle. Or la sobriété c’est un élément pérenne de la transition écologique », a souligné l’élu, qui a annoncé la parution prochaine d’un guide sur la sobriété réalisé par la Métropole avec le concours de l’Ademe et d’autres institutions. Un guide à l’attention notamment des élus, dont il a également été rappelé le besoin de formation pour qu’ils maitrisent et comprennent les enjeux de la transition énergétique. « C’est très important, a insisté Daniel Guiraud. Et cela doit se faire rapidement car le temps nous est compté : si on veut arriver à la neutralité carbone en 2050, il faut intensifier la concertation, la formation et puis y aller », a exhorté le vice-président de la Métropole.
Territoire stratégique au plan économique, la Seine est aussi un corridor écologique majeur, mais fragile. Elle est en première ligne face aux effets du changement climatique et doit donc tenir compte de ces caractéristiques pour assurer un développement durable. Afin de concilier la protection des écosystèmes avec le développement économique urbain, les pouvoirs publics peuvent s’appuyer sur les outils de connaissance fine du territoire apportés par les cinq agences d’urbanisme de la vallée de la Seine (Apur, Aucame, Aurbse, AURH et Institut Paris Region) qui coopèrent depuis 15 ans maintenant sur ces questions. « Dans la commande même qui nous est passée chaque année, on constate une évolution des besoins de connaissance, a indiqué Sandrine Barreiro, directrice de la mission planification à l’Institut Paris Region, lors de la dernière table ronde de la journée. Avant on était amené à travailler sur des questions de mobilité un peu dure, de logistique, d’industrie, d’emploi…, et petit à petit les demandes ont évolué de plus en plus sur des dimensions de compréhension du territoire (aspect paysager, cadre de vie…). On travaille beaucoup sur l’artificialisation des berges, l’évolution de la biodiversité par exemple. »
C’est aussi l’objet du GIP Seine Aval de produire de la connaissance scientifique, qui peut ensuite être mise au service de la décision publique, a souligné sa directrice Elise Avenas, cela en vue de concilier au mieux les différents usages. « Est-ce qu’il reste de la place dans l’estuaire pour des opérations de restauration du milieu naturel ? », a-t-elle illustré. Avant de souligner le rôle des urbanistes, notamment pour faire la synthèse des différentes alternatives qui peuvent exister à un projet, permettant de concilier au mieux les questions multiples qui entrent en ligne de compte et peuvent parfois être contradictoires (disponibilité du foncier, risque inondation, pollution des sols, espèces protégées, préservation de la biodiversité, coûts…).