Alors que les maires d’Ile-de-France se réunissent à Villepinte pour leur congrès annuel mercredi 30 juin et jeudi 1er juillet, Stéphane Beaudet décrit leur état d’esprit à la sortie de la crise pandémique. Les édiles sont heureux de se retrouver mais combatifs, indique le maire d’Evry-Courcouronnes, alors que l’Amif lance un vaste débat sur la décentralisation.
Dans quel état d’esprit se trouvent les maires d’Ile-de-France réunis en congrès ces mercredi et jeudi ?
D’abord, je veux souligner la joie des maires à pouvoir se retrouver enfin, de pouvoir débattre, tirer le bilan de cette année si particulière, au sortir d’une crise d’une ampleur quasiment sans précédent dans l’ère moderne. Le Salon des maires d’Ile-de-France est le premier grand salon programmé avant l’été. La crise sanitaire s’est conjuguée avec une crise démocratique forte, dans un calendrier politique dense. L’Association des maires d’Ile-de-France a l’intention, au travers de ses états généraux de la décentralisation, de peser sur les débats qui précéderont la prochaine élection présidentielle en affirmant notamment le besoin de reconnaissance et d’affirmation du fait communal, comme elle a su peser utilement pendant la crise Covid.

Stéphane Beaudet. © Jgp
Quel regard portent les maires d’Ile-de-France sur les plans de relance en cours ?
Les maires constatent que le plan de relance n’a pas été fait pour eux. Rappelons que sur les 100 milliards annoncés, seuls 10 milliards sont destinés aux collectivités, dont une part relativement faible pour le bloc communal. Le tout soumis à des contingences à la fois technocratiques et calendaires, qui font que des projets que nous pourrions inscrire dans les délais d’instruction imposés par l’Etat ne sont pas soutenus parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases imposées. Je pense, par exemple, à un projet de rénovation énergétique d’une école d’Evry-Courcouronnes, retoqué parce que la durée de travaux s’étend sur 12 mois et non pas six. Je note toutefois avec satisfaction que nous avons obtenu le doublement du montant consacré par l’Etat au fonds friches.
L’articulation entre les plans de relance des différents échelons est-elle fluide ?
Les plans des uns et des autres apparaissent assez complémentaires. Ce qui est gênant, et nous y travaillons à la fois dans le cadre des états généraux de la décentralisation et avec le groupe de travail composé au sein de l’Amif par les anciens parlementaires redevenus maires, Eric Berdoati (Saint-Cloud), Guy Geoffroy (Combs-la-Ville) ou Luc Carvounas (Alfortville), pour ne citer qu’eux, c’est la perte d’autonomie fiscale et financière des collectivités. Elle se traduit notamment par le fait que, après la suppression de la taxe d’habitation, qui représente la perte d’une recette dynamique, le plan de relance et la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) en particulier, constituent des caricatures : les nouvelles recettes des collectivités ne sont plus envoyées directement vers les collectivités, mais vers les préfets de départements qui, en fonction des thématiques choisies par le gouvernement, financent ou non les projets des communes. On ne peut donc, autrement dit, espérer des financements que si l’on se situe dans la ligne politique du gouvernement.
Est-ce la raison pour laquelle les maires sont lassés de la généralisation de ces appels à projets ?
La démultiplication de ces appels à projets n’est rien d’autre que la traduction d’une baisse des moyens de l’Etat, à la fois des moyens humains et techniques déconcentrés dans les territoires, et des moyens financiers. D’une certaine manière, et pardon de le dire comme ça, on essaie de nous endormir avec ces appels à projets, de nous donner un os à ronger pour tenter de cacher ces baisses de moyens et de crédits. La France meurt de sa complexité administrative. Prenons l’exemple du centre-ville d’Evry-Courcouronnes. Ce périmètre se trouve actuellement tout à la fois sous le coup d’une opération d’intérêt national (OIN), d’un contrat d’intérêt national (CIN), d’un programme partenarial d’aménagement (PPA), d’une opération au titre du programme Action cœur de ville, qui se décline ensuite en opération de revitalisation du territoire (ORT), sans oublier les négociations liées au Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Avec, pour chacun de ces dossiers, un travail technico-administratif considérable à fournir, qui se traduit, in fine, par des subsides souvent particulièrement faibles.

Stéphane Beaudet, entouré de Jean-Philippe Dugoin-Clément (à g.) et Luc Carvounas (à dr.). respectivement 1er VP et secrétaire général de l’Amif© Jgp
D’où provient l’agacement des maires face à l’Etat déconcentré ?
Il n’est pas rare que nous recevions des lettres de la préfecture nous demandant de réécrire des délibérations pour deux virgules à déplacer, portant sur quelques milliers d’euros, ou même parfois sans enjeu financier. Et, parallèlement, depuis 20 ans, nous avons assisté à la réduction continue des moyens alloués aux véritables services techniques de l’Etat, que l’on avait par exemple à la direction départementale de l’équipement. On ne dit pas assez que cette disparition de l’aide que fournissait l’Etat aux maires en matière d’ingénierie explique largement les recrutements auxquels nous avons dû procéder au cours des dernières années. Les incitations financières à la constitution des intercommunalités, dans le cadre de la loi Chevènement de 1999, expliquent également ces recrutements. Quand je préparais l’implantation à Courcouronnes d’un important centre d’EDF, il y a 15 ans, j’étais aidé par la DDE, qui disposait de compétences de haut niveau. Ce ne serait plus le cas aujourd’hui ! Ce qui aboutit par ailleurs à ce que les villes petites ou moyennes se retrouvent seules au monde, sans aucune ingénierie en secours.
Partagez-vous l’opinion des maires franciliens, telle que reflétée par l’enquête sur la décentralisation qui sera dévoilée lors du salon, selon laquelle le statu quo, en matière d’intercommunalité en Ile-de-France, n’est pas tenable ?
Nous allons en débattre durant le salon, en vue de l’élaboration d’une plateforme de propositions pour la prochaine présidentielle. Le mandat précédent a été strictement technico-administratif avec, de surcroît, 11 milliards d’euros de baisse des dotations, des agglomérations au périmètre imposé et le redécoupage des Régions. Les élus, comme Gérard Larcher, le président du Sénat, l’a souvent répété, appellent évidemment à modérer le rythme des évolutions institutionnelles majeures à venir. Mais en même temps, tout le monde fait le constat que nous nous sommes arrêtés au milieu du gué. Qu’il s’agisse de la construction de la métropole du Grand Paris, celle du traitement différencié entre les établissements publics territoriaux (EPT) en petite couronne, et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en grande couronne, le souhait réaffirmé d’un renforcement de la région Ile-de-France, les attentes sont nombreuses. Elles ne sont pas politiciennes mais pragmatiques, émanant d’élus qui souhaitent simplement mener à bien leurs projets. Tout cela est accentué par la crise pandémique, qui provoque une hausse des dépenses des collectivités tout en réduisant encore leurs recettes, aboutissant in fine à une réduction importante de l’investissement local.

Stéphane Beaudet, avec Gérard Larcher et Valérie Pécresse, lors de l’inauguration du salon de l’Amif, en2015. © Jgp
Qui doit décider de la réforme à venir en Ile-de-France ?
Nous allons essayer, avec beaucoup d’humilité, de dégager une position claire sur la question. C’est compliqué. Et on se souvient que du temps de la préfiguration de la métropole du Grand Paris, 94 % des élus avaient voté pour une motion qui n’a pas été reprise par le législateur. Tenter de dégager cette position commune est le sens du débat inédit que nous lançons à cette échelle, face à deux problématiques très fortes : l’Etat aménageur de son territoire a disparu, et les élus le déplorent. Où sont passés De Gaulle et Delouvrier ? On peut s’étonner, par exemple, de voir l’Etat appeler l’Amif à la rescousse pour travailler sur les 68 quartiers de gare alors que la Société du Grand Paris est dotée d’un comité stratégique. Par ailleurs, l’Ile-de-France, qui est la locomotive de la France dans son ensemble, reste ultra-minoritaire au Parlement. C’est un vrai sujet. Parce qu’il faut réaffirmer, alors que la loi 3DS (Décentralisation, déconcentration, différenciation, simplification, ex 4D) arrive au Parlement, que l’Ile-de-France n’est pas un territoire comme les autres. Or aujourd’hui, ce sont les parlementaires non-franciliens qui décident pour elle. D’où la nécessité de définir et de défendre une position commune.
Quelle différenciation pour l’Ile-de-France ?
Je suis élu depuis 2001. J’étais déjà maire lors de l’acte 2 de la décentralisation, dont l’un des points forts était déjà le droit à l’expérimentation… Mon ami Roland Castro n’a pas eu beaucoup plus de chance que Jean-Louis Borloo quant aux suites de son rapport, dont la philosophie générale reposait sur la conviction que c’est le projet qui doit précéder et guider l’organisation politique. On a fait l’inverse avec les intercommunalités de grande couronne, auxquelles on a demandé de bâtir un projet de territoire après leur avoir imposé des périmètres.
Le salon de l’Amif recevra le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti pour aborder la question de la violence à l’encontre des élus et de la place des maires en matière de justice de proximité. Quel regard portez-vous sur ces questions ?
La violence faite aux élus est en constante augmentation. Face à cela, les dernières propositions du garde des Sceaux, suite à notre mobilisation sur ce sujet grave, étaient très largement insuffisantes. On nous a proposé des choses qui existaient déjà et qui n’étaient pas appliquées, comme c’est souvent le cas en France. Nous attendons des actes forts. Nous avons publié une liste de préconisations à ce sujet. Concernant la justice de proximité, je ne suis pas favorable à ce que les maires deviennent juges, tout comme je ne suis pas favorable à ce qu’ils se transforment en shérifs. Que l’on applique déjà, avec réalisme et transparence, ce que les différentes lois imposent depuis que l’on nous explique que le maire doit être au centre des politiques publiques de sécurité.