Philippe Di Folco – L’homme aux mille livres

Ecrivain, éditeur, enseignant, script doctor et passionné du Grand Paris, portrait d’un touche-à-tout lettré à l’érudition véloce, entre poésie, mafia et justice littéraire.

On peut tout aussi bien le croiser en train d’acheter des gravures ou des vieux livres à Drouot, donner une masterclass de storytelling à l’IESA – l’école internationale des métiers de la culture et du marché de l’art – ou traverser à vélo les forêts de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) un samedi matin. Philippe Di Folco a les mots précis, un don d’imitateur qui déclenche l’hilarité et une passion contagieuse pour les marges, les livres, les villes – surtout celles du Grand Paris, qu’il arpente avec la tendresse d’un géographe sentimental.

Né dans les années 1960 à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), d’une mère mi-corrézienne mi-val-de-marnaise et d’un père originaire d’Italie, il grandit à Créteil, juste en face de ce qui deviendra le centre commercial Créteil Soleil. Il en suit la construction comme on guette une comète. « Mon enfance, c’est le basket et le tennis à bon niveau, le vélo avec mon père à travers l’Ile-de-France, la maison des arts de Créteil et les dictionnaires empilés de Larousse, où travaillait ma mère. » C’est là, entre les pages du Petit Larousse, qu’il développe une passion pour la langue et l’objet livre.

Philippe Di Folco. © Jgp

Son père, qu’il admire, transitaire devenu directeur général chez le transporteur Ziegler, lui donne le goût du voyage. Jeune, il l’accompagne à Orly, au Havre, dans les ports et entrepôts de Gennevilliers. Il pense d’abord marcher dans ses pas, entame des études d’économie internationale à Paris XII. Mais un stage à Londres dans l’édition va le faire bifurquer vers une autre géographie : celle des mots.
Nous sommes en 1988 à Shepherd’s Bush, le quartier jamaïcain de la capitale britannique. Philippe Di Folco a 23 ans, fréquente des amis qui fonderont bientôt Freeze, sort au Palladium, écoute New Order, Prince et la house de Manchester. Le Londres qu’il aime est bon marché, bruyant, disparu. Là-bas, cet habitué des bouquinistes achète de la small press, des ouvrages tirés à peu d’exemplaires qu’il écoule plus tard au marché de la poésie de Saint-Sulpice à Paris. « Des petits livres vendus assez chers, avec un beau succès. »

Il rentre à Paris, éditeur universitaire chez Ellipse, puis directeur éditorial de Pearson France, qu’il quitte en 1997, à 33 ans, l’âge auquel il s’autorise enfin à écrire. « J’ai attendu un âge vénérable pour me mettre sérieusement à la prose. » Il publiera plus de 30 livres, du roman au polar, en passant par la cuisine et la criminalité organisée. A table avec la mafia, My Love Supreme – ode romancée à Créteil et Coltrane –, ou aujourd’hui Maudites demeures, écrit avec Me Bertrand Pavlik, recueil d’histoires judiciaro-immobilières. Dans ce dernier ouvrage, publié aux éditions du Rocher, l’auteur décrit des faits réels avec un goût prononcé pour les zones grises du droit et de la littérature. Trois quarts des récits prennent place dans le Grand Paris, entre pavillons secrets, bibliothèques intimes et villas à l’abandon, offrant une plongée aussi érudite que sensible dans les plis d’un territoire hanté par ses livres et ses fantômes. Un livre-enquête où la ville devient scène de crime, et la lecture, acte de justice.

Le Grand Paris pour terrain de jeu

Ses livres sont des objets à double fond, écrits avec une érudition sans esbroufe. On y croise Borges, Perec ou John Giorno. C’est Jean-François Bizot, rencontré par hasard autour d’un verre à Bastille, qui l’initie au journalisme. Il devient reporter, chef de rubrique, homme de radio, pour le groupe Novapress. C’est également le fondateur d’Actuel qui l’aide à se lancer dans des projets d’écriture plus ambitieux. « Bizot m’a dit : tu as des livres en toi, lance-toi. Il m’a libéré. » Aujourd’hui, il vit de son entreprise d’ateliers d’écriture et de script doctoring, enseigne dans plusieurs écoles, et cosigne des scénarios, dont Tournée et Barbara, avec Mathieu Amalric, rencontré lui aussi à la sortie d’un bar.

Philippe Di Folco vit à Paris, dans le 5e, un appartement boisé, rempli de livres et de statuettes africaines, au fond duquel il écrit ses ouvrages et qu’il ne quitterait pour rien au monde. Il sort chaque week-end de la Capitale à vélo pour dénicher des perles. Le Grand Paris est son terrain de jeu, sa carte intime.

Il parle de sa femme, curatrice d’art contemporain, de ses étudiants à qui il enseigne la force de la narrativité, des demeures hantées qu’il a exhumées avec Bertrand Pavlik. « Il y a toujours une morale, une tension, un angle. C’est ça qui m’intéresse. » Ce qu’il aime par-dessus tout ? Transmettre. De Créteil Soleil à Saint-Sulpice, en passant par les marges du récit et les plateaux de tournage, Philippe Di Folco poursuit son œuvre plurielle. Une existence, comme il aime à le dire, « toujours sur le fil entre littérature et réel ».

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