Le cinéma, un secteur phare de l’économie francilienne (5/7) – Le boom des formations

La demande croissante en contenus audiovisuels, ainsi que l’évolution technologique, font naître des besoins de compétences accrus. Une aubaine pour le secteur de la formation, où se multiplient les cursus, notamment privés. Mais l’offre doit perpétuellement s’adapter à des besoins changeants.

S’il est un secteur où il est difficile d’y voir clair, c’est bien celui des formations aux métiers du cinéma. L’offre prospère sans cesse, accompagnant l’essor de l’industrie. Mais elle mute aussi rapidement, pour s’adapter aux évolutions technologiques fulgurantes du secteur et aux impératifs de la transition écologique. Vidéadoc, centre de ressources sur les aides à la création et les formations, a recensé en Ile-de-France 524 formations en cinéma, audiovisuel et création numérique couvrant plus de 80 métiers différents intervenant dans la chaîne de fabrication d’un film. « Le chiffre comprend les options cinéma et audiovisuel au lycée, la quinzaine de BTS en audiovisuel, les écoles publiques et privées, les formations courtes ou continues », détaille Elodie Beaumont Tarillon, administratrice de Vidéadoc.

Elodie Beaumont Tarillon, administratrice de Vidéadoc. © DR

A elle seule, l’Ile-de-France concentre plus de 65 % des formations proposées au niveau national. Fait notable : une grande partie d’entre elles sont en continu. En effet, dans le secteur, les professionnels intermittents ont l’habitude de se remettre régulièrement à niveau sur certains aspects techniques précis ou sur les évolutions plus générales de leur métier. Ainsi, le nombre de diplômés par an s’élève à 1 120 en région parisienne. Côté formation initiale, l’accès aux écoles n’est, en revanche, pas très aisé. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a identifié plusieurs freins, notamment les frais de scolarité élevés des écoles privées (compris souvent entre 8 000 et 15 000 euros annuels), les concours très difficiles des écoles publiques, mais également la nécessité de disposer d’un réseau dans le milieu pour décrocher un stage. Ces facteurs rebutent notamment les jeunes défavorisés qui représentent pourtant un vivier important pour les nombreux métiers techniques que compte le monde de l’image.

Dans une salle de formation de l’ENS Louis Lumière lors des journées portes ouvertes de l’école en 2022. © ENS Louis Lumière

De forts besoins en compétences

« Avec l’arrivée des plateformes américaines, les besoins en contenus progressent de façon exponentielle. Cependant, pour réaliser un tournage, il faut des techniciens. Or, aujourd’hui, nos professionnels ne sont pas assez nombreux, pas assez formés », estime Vincent Lowy, directeur de Louis Lumière, la doyenne des écoles de cinéma, tournée historiquement vers les métiers techniques. Ce constat a sans doute participé à la volonté du gouvernement de lancer en 2023, avec la Caisse des dépôts et en lien avec le CNC, l’appel à projets « France 2030 – La Grande fabrique de l’image » dont une partie est consacrée à la formation. 11 écoles franciliennes en ont été lauréates. On y trouve aussi bien les « vedettes », comme la Fémis ou l’Esra (Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle), que des écoles « surprises », telles que Simplon, originellement dédiée aux métiers du numérique, qui fait son entrée dans le monde de l’audiovisuel : elle propose de former gratuitement aux technologies du jeu vidéo 250 personnes éloignées de l’emploi ou sous-représentées dans ce secteur.

Mais les besoins en compétences sont nombreux, évoluent vite, et ne sont pas forcément là où on l’imagine. Ainsi, alors que dans son étude des besoins de 2022, préalable au lancement de la Grande fabrique de l’image, le CNC indiquait qu’il y avait un déficit sur les métiers de l’animation 2D et 3D, il semble, depuis, s’être résorbé. « Les besoins sont à peu près couverts », affirme Jack Aubert, directeur général adjoint de l’Afdas, opérateur de compétences (Opco) dans le domaine des industries créatives. En revanche, Vincent Lowy voit les besoins du côté de la réalisation virtuelle : encore peu utilisée car très coûteuse, la technologie est en passe de se démocratiser. Elle consiste à tourner dans des studios virtuels de réalité augmentée (XR). Des murs recouverts de diodes électroluminescentes (LED) permettent d’y projeter des décors parmi lesquels les acteurs évoluent, avec des éléments incrustés en 3D. Les scènes sont tournées en temps réel. A l’arrivée, la différence avec un film tourné de façon classique est, parfois, imperceptible.

Vincent Lowy, directeur de Louis Lumière. © Caroline Sénécal

Mais des déficits de professionnels existent également dans des métiers plus traditionnels, constate Vincent Lowy : machiniste, chef électricien, régisseur de plateau, etc. Selon Jack Aubert, en tête des métiers en tension arrivent les gestionnaires, les administrateurs et les comptables de production. Autrement dit, des postes clés pour des tournages qui se multiplient et dont la mise en œuvre et la coordination s’avèrent complexes. Enfin, émergent de nouveaux métiers comme celui de coordinateur d’intimité, qui doit veiller à la prévention du harcèlement sexuel et sexiste. « Il est chargé d’organiser et de veiller sur le tournage de scènes où la proximité physique entre comédiens est forte », explique Jack Aubert. Le certificat de branche pour cette formation vient d’être créé.

Des cursus en plein enrichissement

Les écoles tentent de s’adapter à ces réalités mouvantes. Du côté du privé, les établissements reconnus par la profession, tels qu’Isart digital ou Eicar, proposent, aux côtés des métiers de cinéma classiques, des formations à la pointe sur les nouvelles compétences : animateurs 2 et 3D, maquilleur, plasticien, monteur d’effets visuels… L’école consulaire des Gobelins, une référence dans les métiers de l’image et du cinéma d’animation, propose également une offre étoffée en motion design ou en storytelling visuel. Enfin, de nouvelles écoles se créent pour répondre aux besoins, telles qu’Ecritures nouvelles, portée par une association créée en 2021, qui dispense des formations dans l’écriture de séries.

Atelier de formation à l’animation 2D à l’institut Georges Méliès. © Institut Georges Méliès

Du côté du secteur public, Louis Lumière travaille, grâce notamment aux financements de la Grande fabrique de l’image, à créer, d’ici à 2025, quatre nouvelles formations en alternance sur des métiers en tension – chef électricien, machiniste, régisseur, administrateur de production –, ainsi qu’un nouveau master, qui viendra s’ajouter aux trois existants (cinéma et audiovisuel, photographie, son) : intitulé « augmented cinematography », il sera dispensé en anglais et formera des techniciens de niveau ingénieur aux productions virtuelles. Il s’inscrit dans la philosophie de l’école : « notre originalité est d’allier les aspects techniques, scientifiques et créatifs. Nous dispensons déjà beaucoup de cours en sciences appliquées », commente Vincent Lowy.

Excellence cinématographique

La Fémis, une des écoles de cinéma européennes les plus réputées, suit également le mouvement. Sa directrice générale, Nathalie Coste Cerdan, témoigne : « Dans chaque métier, les évolutions technologiques modifient régulièrement la manière de faire. Les intervenants professionnels qui enseignent chez nous sont eux-mêmes confrontés à ces évolutions et nous en alertent. Nous échangeons pour savoir si leur portée est suffisamment majeure pour être introduite dans nos cursus. Dans certains cas, le niveau des investissements et l’obsolescence rapide des matériels nous obligent à privilégier des solutions externes, par exemple pour les murs de LED. »

Atelier cadre perche à la Fémis. © Lucien Balibar

Atelier de formation motion design à l’Institut Georges Méliès. © Institut Georges Méliès.

Cependant, la Fémis campe sur ses positions d’excellence cinématographique. « Nous allions la pensée du cinéma avec les aspects pratiques, dans un esprit cinéma d’auteur », affirme Nathalie Coste Cerdan. Même discours de la part de l’Ecole Georges Méliès, portée par une association mais néanmoins assez coûteuse (8 000 euros par an) et spécialisée dans le cinéma d’animation. « L’enseignement se structure autour du monde académique et de l’univers numérique. L’objectif est de pouvoir à la fois discuter d’une focale au cinéma et d’analyser un tableau de maître », affirme Franck Petitta, son directeur. Un enseignement long, fouillé, gage, selon lui, d’un ancrage durable dans un secteur en évolution technologique rapide. « Si un artisan de l’image n’est pas pluridisciplinaire, s’il n’est pas transversal, l’intelligence artificielle (IA) va prendre sa place », estime Franck Petitta, qui reproche aux nombreuses écoles en animation 2 et 3D de spécialiser trop vite les jeunes. « La question de l’IA dans le cinéma et l’audiovisuel se pose. Elle était au centre de la grève de Hollywood », confirme Jack Aubert. Si l’IA menace déjà les métiers de doublage de films, la question se pose de comment l’utiliser à bon escient. « On peut challenger l’outil pour trouver de nouvelles idées d’intrigues. Mais on en est encore aux tâtonnements », suggère Jack Aubert. La Fémis va consacrer deux jours de réflexion à ces sujets pour comprendre comment ils modifient les métiers de la chaîne de fabrication afin d’en tirer les enseignements pour les formations.

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