Fondatrice et directrice du festival Cinébanlieue depuis 2004, Aurélie Cardin, 44 ans, contribue à développer un cinéma des marges exigeant. Elle permet aussi l’éclosion de nouveaux talents, de nouveaux regards…
Elle en conserve un léger accent, elle en porte la fierté. Aurélie Cardin, 44 ans, née à Saint-Denis, Albertivillarienne pendant plusieurs décennies, aujourd’hui résidente de Fontenay, garde la banlieue chevillée au cœur : un regard décalé par rapport à Paris, ce centre tout-puissant…
Depuis le mitan des années 2000, cette ex-basketteuse, au regard franc, à la parole nette, que rythment des sourires d’une grande douceur, redonne ses lettres de noblesse au « cinéma des marges ». Chaque année depuis 2004, son festival Cinébanlieue, parrainé par Réda Kateb, pose, sur ces zones périphériques, des regards pluriels au-delà des clichés – barres de béton, violence, trafics… Pour Aurélie, la banlieue possède une foule de visages, et autant d’imaginaires. Dans son débit rapide, sur ses chemins de traverse, cette militante du 7e art, déroule, en une myriade de noms lancés en vrac, l’histoire du cinéma des banlieues. Elle cite Jean-Luc Godard et Akhenaton, Malik Chibane et Eric Rohmer, René Alliot et Tony Gatlif, Mehdi Charef et Abdellatif Kechiche, Arletty et Maurice Pialat. Son mémoire de DEA d’histoire sociale et culturelle ? « La représentation de la banlieue à travers le cinéma ».

Aurélie Cardin. © DR
En 1995, pour elle et sa génération, un film uppercut fait date : La Haine de Mathieu Kassovitz. « Enfin, un film parlait de nous. Enfin, un film affirmait : “vous existez”. Enfin, on voyait à l’écran nos voisins, nos potes », dit-elle.
Dans le 93, elle grandit entourée d’une mère assistante de direction et d’un père ouvrier imprimeur, journaliste à Villepinte, devenu auteur de romans policiers à succès. Entre le sport de haut niveau, et l’école, elle s’échappe dans les salles obscures : « Je me gavais de films d’Almodovar, je kiffais Buñuel, je faisais une overdose de films italiens. J’y cherchais mes racines familiales. »
Ni « grande gueule », ni « meneuse »
Adolescence. Première déchirure, premier sentiment d’injustice : « Mon drame, au lycée, a été de perdre les trois quarts de mes amis, orientés de force vers des cursus pro : des gens intelligents, sans personne pour les encourager », déplore-t-elle. Aurélie, elle, incitée par une professeure, intègre une hypokhâgne, à Paris – « J’y ai souffert, je n’avais pas les codes… » Aujourd’hui encore, elle se révolte contre ces plafonds de verre, ces impensés, qui limitent l’accès des jeunes de banlieue à certaines formations. « Aucun conseiller d’orientation dans les quartiers ne suggère la Fémis [Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son], trop élitiste, s’insurge-t-elle. Il faut inventer d’urgence d’autres voies d’accès au cinéma. »
Suite à son mémoire, elle sème, à la fac, les premières graines de son festival. « Mais il y avait trop d’inertie, un syndrome de réunionite pour le moindre projet, se souvient-elle. Biberonnée à l’éducation populaire, j’aime l’action, le concret. » Aurélie fonce. Celle qui ne se définit « ni comme une grande gueule, ni comme une meneuse » poursuit ses objectifs. Premier rendez-vous avec la directrice du cinéma de Bobigny, premier refus : « Tu as vu ces barres autour de toi ? Tu crois vraiment qu’on veut voir ça à l’écran ? » Finalement, le cinéma L’Écran de Saint-Denis relève le pari. En 2006, se tient la vraie première édition du festival, titrée « Regarde ta jeunesse dans les yeux », un an après les révoltes des banlieues.
En 2007, sa promotion comme lauréate de « Talents des cités » favorise l’essor de son festival. Cinébanlieue, concours et tremplin, doté aussi d’un riche système de tutorat, a porté sous les projecteurs de nouveaux réalisateurs, comme Maïmouna Doucouré (Mignonnes) ou Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (Gagarine). Aujourd’hui, Aurélie Cardin multiplie les casquettes : membre de l’Observatoire de la diversité du CSA, du collectif 50/50 sur la parité dans le cinéma et de l’association Club 21e siècle, qui promeut la diversité et l’égalité des chances, elle dirige aussi Talents en court au Comedy club, un tremplin pour les jeunes cinéastes autodidactes. En parallèle, elle produit des films, écrit des scénarios, réalise des courts-métrages et s’attelle à son premier long avec sa compagne Julia Cordonnier.
Aujourd’hui, avec les succès de films comme Divines ou Les Misérables, le cinéma dit « de banlieue », s’inscrit mieux dans le paysage du 7e art. Dans ce panorama moins uniforme et de plus en plus exigeant, Aurélie Cardin joue assurément l’un des premiers rôles.