Conservatrice du Musée Bourdelle, Amélie Simier entretient un rapport plein de sensibilité aux œuvres du sculpteur. Son obsession ? Préserver la beauté et la justesse du lieu.
Sur son musée consacré à l’œuvre du sculpteur Antoine Bourdelle, petit joyau zen à deux pas de la gare Montparnasse, elle veille avec un soin méticuleux et un amour que l’on devine solide. Sa longue silhouette anguleuse, vêtue d’un costume sombre, pourrait exprimer une certaine austérité. Mais lorsque Amélie Simier explique son métier de conservatrice, tout s’éclaire. Loin d’une sévérité de façade, ou d’une relation trop rigide à la connaissance, elle évoque le plaisir de tous les sens, mis en éveil. « Je reste très attachée à la part d’imperceptible, confesse-t-elle. Ainsi, nous choisissons avec précaution la cire des parquets, pour évoquer l’odeur qui pouvait régner ici, dans cet ex-atelier et lieu de vie de l’artiste. De même, nous tâchons d’entretenir le côté “bohème” du jardin. Le visiteur doit ressentir des émotions, intimes, profondes. La beauté se niche dans les détails ».
Ainsi, depuis neuf ans, Amélie Simier, troisième conservatrice (la première était la petite fille de l’artiste) travaille sur l’identité du lieu, par petites touches, la renforce, l’accentue, avec cette obsession : « qu’il sonne juste ». Et puis, elle se sent investie d’une mission. « Les œuvres créées ici doivent, en tant que collections inaliénables, être conservées et préservées à jamais, dit-elle. Au final, nous sommes des gardiens, des passeurs de ce legs. Avec l’empreinte la plus légère et la plus juste possible, nous participons à un bout d’éternité ».
« Construction d’un corps autour du vide »
Nourrie par des parents architectes, épris de beauté et d’harmonie, sa passion de l’art, remonte à l’enfance. Feuilles blanches et crayons de couleur en main, elle accède à l’art « par la pratique ». Étudiante, elle s’inscrit à l’École du Louvre, puis sort diplômée de l’École nationale du patrimoine. Un parcours durant lequel elle se spécialise dans les arts et traditions populaires, avant d’être embauchée comme responsable des sculptures au Petit Palais, puis au musée Bourdelle.
Et d’ailleurs, comment pourrait-elle qualifier l’art dont elle s’occupe ? « De la sculpture, j’aime le déploiement dans l’espace, le rapport ombre/lumière, la construction d’un corps autour du vide, décrit-elle. Et puis, c’est l’art des premiers temps. Avant de savoir dessiner, l’enfant tripote, modèle… Aux balbutiements de l’humanité, il y avait aussi cet art d’élever les pierres, de dresser des menhirs… »
Mélange de sinuosité et de géométrie
Dans son musée, Amélie Simier paraît attachée à chaque pièce et, plus encore, à celui dont elle perpétue l’héritage : Antoine Bourdelle. Celui-ci, sous ses mots, semble revivre. Ainsi convoque-t-elle, avec enthousiasme, sa « dualité frappante entre des œuvres très construites, viriles, fortes et des créations délicates, souples, serpentines, ce mélange de force et de douceur, de sinuosité et de géométrie, ce lieu qui mêle l’intime et le monumental… » Et lorsqu’on lui demande quelle serait sa pièce préférée, là encore, Amélie Simier apporte une réponse surprenante : « Tout dépend du jour et de la lumière sur l’œuvre. Aujourd’hui, ce sera la “Tête dorée d’Apollon”, qui ressort par ce temps gris, avec sa trace d’usure, comme un témoignage de la fragilité et du temps qui passe à l’arrière de la tête. Mais vienne un rayon de soleil, et je vous parlerai d’autre chose… »
Car, entourée de ses livres éternels, la dame n’aime, rien de plus, que se plonger dans la nature et le silence. « J’ai eu conscience très tôt que les choses passaient et ne revenaient pas…. Et certains de mes plus grands chocs esthétiques me furent donnés par la nature, son temps cyclique, toujours changeant… » Un savant équilibre, en somme, entre immortalité et impermanence.