Cercle Grand Paris de l’investissement durable : l’innovation au risque de la solidarité

A quoi bon innover, bâtir une city prétendument « smart » si ce n’est pas avec l’inclusion et la solidarité sociale et spatiale comme objectif cardinal. C’est, en résumé, la teneur des présentations et des interventions des speakers internationaux du 6° Forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable.

« Innovations, solidarité, gouvernance : quel contrat pour le Grand Paris (et les métropoles) ? » Tel était le thème du 6° Forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable, qui s’est tenu mardi 27 juin 2017 dans les locaux neuilléens de Deloitte. « A l’heure où de multiples scénarios sont sur la table pour préciser les contours institutionnels du Grand Paris, jamais les fragmentations sociales et territoriales n’ont été aussi importantes. Jamais peut-être, les territoires du Grand Paris n’ont eu à répondre à autant de défis et d’opportunités », a rappelé Nicolas Buchoud en ouverture des débats.

Nicolas Buchoud, président du Cercle Grand Paris de l’investissement durable. © Jgp

Dans un appel à bâtir une gouvernance métropolitaine à la mesure des enjeux, le président du Cercle a souligné « les très nombreux atouts du Grand Paris et l’urgence de mieux équilibrer innovation et cohésion sociale et territoriale ». En présence de nombreux acteurs des solidarités et entreprises, il a proposé « d’innover à travers un « Metropolitan Compact » associant entreprises, société civile, universités et collectivités dans une nouvelle approche de l’investissement durable ».

Des inégalités en progression

« Les inégalités de revenus et de richesse progressent dans la première région économique de France qui est aussi – et de très loin – la plus inégalitaire », a souligné Jean-Luc Mouly. Le président régional de Caritas France/Secours catholique a rappelé l’importance de l’activité de son organisation en Ile-de-France, où œuvrent 500 de ses 1 000 salariés et 10 000 de ses 70 000 bénévoles. Il a décrit des disparités croissantes de richesses « à l’intérieur des départements, des villes, des quartiers », telles que « personne n’y échappe. Elles concernent l’emploi mais aussi l’accès à la santé, à l’éducation et au logement. »

« Les inégalités de revenus et de richesse progressent dans la première région économique de France qui est aussi et de très loin la plus inégalitaire », a indiqué Jean-Luc Mouly, président régional de Caritas France/Secours catholique, entouré de Bertrand Ousset (dr.) et de Bertrand Avril (g.) © Jgp

Le président du Secours Catholique en Ile-de-France a ajouté que « cette concentration des pauvretés posait des questions éthiques mais aussi de sécurité, avec des risques d’éclatement du tissu social ». Comme la plupart des intervenants de cette matinée, Jean-Luc Mouly estime que les 100 milliards d’euros d’investissement annoncés dans le cadre du Grand Paris, de même que les multiples innovations en cours doivent intégrer la correction des inégalités territoriales dans leurs objectifs, au risque de perdre leur sens.

L’isolement social progresse à l’heure de l’hyperconnectivité

Même conviction chez Bertrand Ousset, président de la Fondation Frédéric Ozanam, qui a insisté, pour sa part, sur l’importance de l’engagement bénévole, « les collectivités publiques ne pouvant à elles-seules agir suffisamment dans ces domaines ». La fondation lutte en particulier contre l’isolement social, qui sévit particulièrement dans les quartiers déshérités « et menace la cohésion sociale ». « L’engagement citoyen, bénévole, au service des associations telles que les nôtres doit répondre à la fraternité qui constitue une composante essentielle de notre devise républicaine », a-t-il poursuivi. Le Conseil économique, social et environnemental rendra prochainement un rapport sur la question de l’isolement social, qui progresse donc à l’heure de l’hyperconnectivité.

Bertrand Avril (Habitat et humanisme) a annoncé, à cette occasion, la publication, fin 2017, d’une étude de son organisation sur la mixité sociale. Elle dressera un état des lieux de la question, sur la base d’entretiens avec des chercheurs et d’enquêtes de terrain, réalisées notamment à Paris, Saint-Denis, Nanterre et Versailles.

« Innovations, solidarité, gouvernance : quel contrat pour le Grand Paris (et les métropoles) ? » Tel était le thème du 6° Forum du Cercle Grand Paris de l’investissement durable, qui s’est tenu mardi 27 juin 2017 dans les locaux neuilléens de Deloitte. © Jgp

François-Emmanuel Borrel, président de l’Union des syndicats de l’immobilier (Unis), a relativisé l’impécuniosité publique en matière de logement. « L’Etat retire 62 milliards d’euros de recettes annuelles liées au logement, et dépense 42 milliards en aide à la construction », a-t-il affirmé, en déduisant une capacité de 20 milliards… Il a réitéré la demande de l’Unis de voir les bailleurs privés reconnus par un statut et bénéficier à ce titre d’aides publiques pour financer les travaux d’amélioration, notamment énergétique, de ces logements. Damien Zaversnik, responsable de la mission stratégie et coopérations territoriales au sein de l’établissement public territorial (EPT) Est Ensemble (Seine-Saint-Denis), a indiqué, pour sa part, qu’au sein de son agglomération, la hausse du taux de création d’entreprises (+ 20 %) n’a pas empêché celle du taux de chômage (+ 5 %).

Rêve de scène urbaine

Ross Douglas, président d’Autonomy – sommet international pour les mobilités durables -, a décrit les ruptures brutales à venir dans les prochaines années compte tenu du véhicule autonome, du car-sharing et de la mobilité électrique. Il a décrit le dynamisme supérieur à la France de certains de nos voisins, à l’instar de Berlin qui compte, par exemple, quatre ou cinq compagnies de car-sharing.

Lionelle Maschino, coordinatrice du comité de prospective du projet Rêve de scène urbaine (RSU), attaché au démonstrateur industriel de la ville durable (DIVD) de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), a souligné le succès de la démarche « encourageante, nécessaire »,  qui vient de fêter sa première année. Tous les six mois, la centaine d’entreprises membres de ce DIVD (grands groupes et start-up) propose 150 innovations aux élus de Plaine Commune, qui piochent parmi elles celles qu’ils veulent expérimenter. « Nous réussissons à faire travailler ensemble le public et le privé mais aussi le privé avec le privé », a indiqué Lionelle Maschino. Elle a cité l’exemple d’un mur antibruit récupérant l’énergie des véhicules, en cours de test. « Les DIVD visent également à porter à l’étranger le savoir-faire des industriels français de la ville durable » a-t-elle indiqué.

Hélène Peskine, nouvelle secrétaire permanente du Puca (Plan urbanisme, construction, architecture) © Jgp

Hélène Peskine, nouvelle secrétaire permanente du Puca (Plan urbanisme, construction, architecture), a évoqué un autre démonstrateur, à Sevran, celui de Cycleterre où les terres excavées par les travaux des tunnels du Grand Paris express seront réutilisées localement dans des chantiers de construction.

Casablanca, Smart city

Le Dr Aawatif Hayar, vice-présidente du projet E-Madina, a présenté le cluster de Casablanca dédié à la smart city. Elle a insisté notamment sur la convergence des approches de développement urbain durable et de l’internet des objets (IoT). « La smart city, telle que décrite par l’Autrichien Rudolf Giffinger, s’intéresse d’abord aux gens », a rappelé l’universitaire, indiquant que cette optique prenait tout son sens au Maroc, marqué par de vives tensions sociales. Elle a décrit les atouts de Casablanca, où l’absence d’infrastructure a été palliée rapidement par le développement galopant de la téléphonie sans fil, avec un taux d’équipement en téléphone mobile de 120 %.

Le Dr Aawatif Hayar, vice-présidente du projet E-Madina, a présenté le cluster de Casablanca dédié à la smart city. © Jgp

Sans minimiser pour autant les problématiques financières de la smart city, celles de son modèle économique, liées notamment à l’entretien des capteurs dans le temps, les perspectives qu’offre le développement du e-learning, compte tenu de l’importance de l’accès à l’éducation ont également été soulignées.

Une commande publique « encore trop bridée »

Maximilien Pellegrini, directeur général adjoint Eaux France en charge du développement et de la stratégie (Suez), a rappelé le développement de la population des villes (1/3 de la population il y a 50 ans, 50 % aujourd’hui), « et une tendance qui va s’accélérer au cours des prochaines années ». « Notre responsabilité consiste à tenter de la planifier, compte-tenu notamment du choc climatique », a-t-il poursuivi. Il a souligné que l’hybridation des services rendue possible par les technologies numériques ouvrait le champ des possibles avec, par exemple, la production de chaleur par l’usage d’eaux usées ou d’énergie à partir du freinage des véhicules. « Le monde comptera 75 milliards d’objets connectés en 2020, a poursuivi le DGA Eaux de Suez, rappelant que c’est l’hybridation, le croisement de ces données qui en feront la valeur d’usage. »

Maximilien Pellegrini, directeur général adjoint Eaux France en charge du développement et de la stratégie (Suez). © Jgp

« Pour bâtir la ville intelligente, où il fait bon vivre, et dans laquelle chaque phénomène se nourrit, la gouvernance apparaît naturellement comme une question fondamentale », a-t-il poursuivi. Maximilien Pellegrini regrette, au passage, la persistance d’une commande publique aux cahiers des charges encore trop fermés, bridant l’innovation, chaque territoire devant faire l’objet de solutions spécifiques, adaptées, « loin des innovations d’étagère ».

Le Cercle Grand Paris de l’investissement durable est un think tank à but non lucratif. Créé en 2011, il compte aujourd’hui une cinquantaine de membres et une quinzaine de partenaires européens et internationaux. Le 6e forum était organisé avec le concours de Deloitte, Suez et le support du Journal du Grand Paris.

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