Me Lièvre et Raunet : Retour sur le clausier de Réinventer Paris à l’heure d’Inventons la métropole

A l’heure du lancement d’Inventons la métropole, relisez l’interview des notaires de la ville de Paris, Michèle Raunet (CheUvreux notaires) et Xavier Lièvre (14 Pyramides notaires) qui expliquaient, en novembre dernier dans nos colonnes, la raison d’être du clausier transmis aux finalistes de Réinventer Paris.

Quel est l’objectif du clausier transmis début octobre aux finalistes de Réinventer Paris ?

Me Xavier Lièvre, notaire associé, 14 Pyramides © Jgp

Me Xavier Lièvre, notaire associé, 14 Pyramides. © Jgp

Xavier Lièvre : Les groupements lauréats de l’appel à projets urbains innovants Réinventer Paris acquerront une emprise foncière ou un immeuble à réhabiliter pour réaliser un projet très innovant. Avec de l’innovation au stade de la conception, de la construction et de l’exploitation. Le lauréat aura été sélectionné par le jury notamment parce qu’il aura été jugé que ses innovations étaient les meilleures. Le clausier ne poursuit donc qu’un objectif : être sûr que les innovations annoncées soient mises en œuvre.

Comment fonctionnent ces clauses ?

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Me Michèle Raunet, notaire associé, CheUvreux notaires. ©Jgp

Michèle Raunet : Quand les groupements achèteront les emprises concernées, en plus de leur prix d’acquisition, ils devront fournir, pour les innovations liées principalement à l’insertion sociale et à l’environnement, une garantie (caution ou séquestre). Il y a une différence fondamentale avec les opérations plus classiques : en ZAC par exemple, on demande aux opérateurs de s’engager sur des critères fixés par l’aménageur. Dans le cadre de Réinventer Paris, c’est aux candidats qu’il revient de déterminer leur niveau de performance et les engagements qu’ils souhaitent prendre. On leur dit : si vous êtes sûr et certain que vous en êtes capables, alors vous devez vous engager dans le cadre d’une des clauses selon la nature de l’innovation à garantir. Si vous faites quelque chose de beaucoup plus original, c’est la clause innovation, très souple, qui s’applique. Elle demande aux candidats d’expliquer comment, au cours des dix prochaines années, l’innovation annoncée sera mise en œuvre et évaluée annuellement. Il n’y a pas dans ce cas de pénalités financières fixées a priori par le contrat,

XL : Dans ce cas, on demande simplement que le candidat joue le jeu du protocole d’évaluation de ses innovations, qu’il fasse en sorte que les innovations présentées fonctionnent. Pendant dix ans, il y a une obligation de moyen, qui n’est sanctionnée que si la Ville considère que le candidat retenu n’a pas joué le jeu. La clause parle de « sanctions sévères avec des dommages et intérêts exemplaires », qui interviendraient a posteriori, après action judiciaire. C’est en réalité une clause de sauvegarde, pour éviter les abus.

MR : Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à la différence d’autres appels d’offres, le prix, dans le cadre de Réinventer Paris, n’est en aucune manière le seul critère de choix. Le choix du jury tient compte en particulier du caractère innovant, ce qui fait que la ville sera peut-être amenée à choisir un candidat qui n’a pas proposé la meilleure offre financière mais la meilleure innovation. Le candidat va être choisi sur ce qu’il propose. On doit donc être sûr qu’il respecte ce sur quoi il s’est engagé.

Avez-vous des exemples ?

XL : Réinventer Paris comporte neuf défis d’innovation, que l’on a traduit par autant de clauses. Citons ce que l’on a appelé les innovations constructives. Le candidat va nous dire, par exemple, qu’il va bâtir une façade entièrement nouvelle permettant au bâtiment d’être à bilan énergétique positif. Il peut dans ce cadre produire une notice descriptive, et s’engager sur les performances qu’il met en avant.

MR : Sachant qu’une des innovations que l’on retrouve dans quasiment tous les projets, c’est la construction bois. Là, il suffit de construire en bois ! Plus généralement, ces clauses aboutissent aussi à ce que les candidats indiquent comment l’innovation va réellement fonctionner. On nous explique, par exemple, que tel immeuble prévoit de l’agriculture sur les toits, qui alimentera à la fois un restaurant bio situé en dessous et où les résidents pourront eux-mêmes cultiver leur potager et cuisiner ensemble. Réinventer Paris suscite beaucoup de propositions extrêmement intéressantes, infiniment séduisantes, sur des registres très variés, qui nécessitent d’être étayées.

Certains groupements se plaignent d’un clausier jugé trop strict…

XL : Certains candidats se sentent, en effet, contraints par ce clausier de 30 pages, qui a été envoyé début octobre. Mais dès le lancement du projet, lorsque l’on a élaboré le règlement de consultation, en novembre 2014, nous l’avions annoncé. Il est certain que le fait de séquestrer une somme ou fournir une caution représente un coût dont il convient de tenir compte dans la proposition finale. Les choses sont d’une transparence absolue.

MR : Un des finalistes de Réinventer Paris souhaite mettre en place un commerce solidaire, au sein d’un projet articulé autour du bien manger, et qui comprend à la fois de l’habitation, des bureaux et des locaux d’activité. Par définition, la charge foncière de ce projet sera inférieure à ce qu’elle serait pour l’implantation d’un commerce classique. Il est donc important que les candidats s’engagent dans le temps sur ce commerce solidaire. France domaine, qui évalue l’ensemble des prix, en tiendra compte. Si l’on prend en compte ces réalités, on se rend compte que ce clausier, qui peut paraître contraignant de prime abord, est parfaitement cohérent et légitime.

Il s’agit également d’objectiver les choses ?

XL : L’enjeu d’égalité entre les candidats est très important. On s’est rendu compte, après le dépôt des offres de la première phase, que le niveau de rendu sur un certain nombre de sujets clés pour comparer les offres, le niveau d’innovation proposée, de suivi des innovations et le niveau d’engagement des candidats était très divers. Il s’agit donc aussi de permettre simplement aux candidats d’innover sur un pied d’égalité. On ne reprochera pas à un candidat de ne pas prendre un engagement strict sur l’innovation. Il indiquera simplement que l’innovation d’usage est telle qu’il est impossible de s’engager sur l’affectation, ou de façon très souple. En revanche, le candidat peut élaborer lui-même un protocole d’évaluation sur les innovations uniques qu’il propose. Si l’on n’avait pas prévu ces clauses, on vendrait les immeubles sur de belles promesses, sans aucune maîtrise du respect des engagements des candidats.

Quel regard portez-vous sur Réinventer Paris ?

MR : En tant que notaires, nous avons travaillé en amont, sur la réglementation générale, pour que tous les candidats soient traités de la même manière. Nous avons assisté ensuite à toutes les auditions. J’ai été réellement impressionnée par la capacité des candidats à innover et à proposer des choses extrêmement diverses, qui vont bien au-delà des questions ‘environnementales. Les innovations d’usage, par exemple, ou sur le devenir des immeubles, la manière dont on les conçoit. On voit que l’on a fait un bond extraordinaire. Que Paris est en train de se mettre au niveau de beaucoup de capitales européennes. C’est complétement bluffant en matière de numérique, d’agriculture urbaine, de types de logement, de conception des rapports humains au sein d’un immeuble.

On a été dans un mode extrêmement individualiste dans les années 1980 à 2000, et l’on voit que l’on bascule dans un nouveau mode de vivre ensemble, solidaire et basé sur le partage. Avec des gens qui ont envie de disposer de lieux communs, de mener des projets ensemble. J’ai toujours considéré que la méthode de cession des charges foncière produisait un urbanisme qui lui est propre. En l’occurrence, il s’agit d’une co-construction du projet totalement inédite.

XL : Tout le monde a joué le jeu de façon impressionnante, qu’il s’agisse, au sein de la direction de l’urbanisme de la ville de Paris, des services de l’action foncière, de la direction du permis de construire, qui a reçu chaque candidat, pour veiller à la bonne articulation des projets avec le PLU, ou du cabinet de Jean-Louis Missika. Le discours de ce dernier a été de dire que dans le tourisme et le transport, la logique de l’économie du partage submerge tout, mais pas encore, jusqu’à présent, dans l’immobilier. Tout a été conçu pour créer une nouvelle méthode de réflexion immobilière et produire des immeubles nouveaux en changeant la ville.

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