Développer la ville en hauteur, le béguinage ou les pensions de familles, confier aux maires l’attribution des logements sociaux comme de l’hébergement et renouer avec une politique nationale du logement ambitieuse mais différenciée par territoires constituent quelques-unes des idées que formule Jean-Philippe Dugoin-Clément dans « L’habitat fait le citoyen », qui vient de sortir aux Editions de l’Aube. L’occasion également pour le vice-président de la région Ile-de-France de s’attaquer au calendrier de la proscription de la location des passoires thermiques ou à celui du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, jugés irréalistes.
« Résoudre la crise du logement ne relève ni d’une politique de droite, ni d’une idée de gauche », estime Jean-Philippe Dugoin-Clément dans « L’habitat fait le citoyen », qui vient de paraître aux Editions de l’Aube (*). « C’est une priorité nationale qui transcende les courants politiques. Si nous n’y parvenons pas, le risque majeur est que l’extrême droite accède au pouvoir en 2027 », poursuit le vice-président du conseil régional chargé du logement, de l’aménagement durable du territoire et du Sdrif-E. Avant de s’attaquer à quelques idées reçues et de formuler une série de propositions.
L’auteur s’en prend, par exemple, à l’idée, défendue par des représentants du gouvernement lors du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, selon laquelle il n’y aurait pas de réel manque de logement en France, compte tenu du fait que 8 % du parc est vacant. L’absence de coïncidence entre la localisation de ces logements, leur état, notamment thermique, ou leur configuration et les attentes de la population est soulignée, pour expliquer pourquoi les besoins de construction de logements sont réels.
Allonger la durée des prêts immobiliers
L’idée d’une France de propriétaires est également battue en brèche, alors que les héritages interviennent toujours plus tardivement et que la durée de vie moyenne d’un couple en ménage est de dix ans quand la durée d’un emprunt immobilier atteint fréquemment les 25 annuités. L’élu salue la mise en place du bail réel solidaire (BRS), qui dissocie l’acquisition du foncier de celle du bâti, mais estime « que l’on devrait aller beaucoup plus loin et expérimenter d’autres modèles, en s’inspirant de ce qui se fait à l’étranger ».
L’exemple suisse ou scandinave, « qui consiste à faire porter le prêt sur le bien et non plus sur la personne, dans le but de redonner une capacité d’emprunt aux ménages » est cité. « On pourrait très bien avoir un emprunt sur 50 ou 60 ans qui porte pour tout ou partie sur le bien et qui serait revendu avec », explique le maire (UDI) de Mennecy (Essonne).
Le fait que « la propriété a l’inconvénient de faire davantage obstacle à la fluidité du parc que la location » est rappelé : « les 34–44 ans disposent en moyenne de 37 m2 par personne, soit près de deux fois moins que les 60 ans, tandis que quatre familles sur dix ne disposent pas d’une chambre pour chaque enfant », écrit l’élu. La mise à l’écart du marché locatif de 40 % des résidences principales à l’horizon de 2034, liée à l’interdiction progressive de location des passoires thermiques, est également soulignée. Un calendrier que l’auteur juge intenable, à l’instar de celui des zones à faibles émissions (ZFE) ou du zéro artificialisation nette (ZAN).
Plaidoyer pour la surélévation
Jean-Philippe Dugoin-Clément cite les conclusions du rapport Girometti-Leclercq affirmant que l’élévation de l’exigence des normes ne s’est pas forcément traduite en termes de qualité ressentie du logement. La réduction de la taille des logements au cours des dernières années est soulignée : moins 3,4 m2 en moyenne dans les Yvelines, moins 14,8 m2 en Essonne. Si en 60 ans, les Français ont grandi de 7 cm, la hauteur sous plafond des logements a perdu 27 cm ! « Avec une hauteur sous plafond à 3 mètres, plutôt qu’à 2,20 mètres, on transforme la typologie du bâti, on améliore le cadre de vie et l’on favorise la réversibilité des espaces », fait valoir l’auteur, qui préconise en l’espèce d’assouplir les filets de hauteur fixés par les plans locaux d’urbanisme (PLU).
La règle de la loi SRU imposant un seuil de 25 % de logements sociaux est également critiquée pour ses visées uniquement quantitatives, aboutissant selon l’auteur à une qualité de logement social souvent dégradée. A ce sujet, comme pour celui du ZAN (voir ci-dessous), l’auteur plaide pour une territorialisation des objectifs de construction de logements sociaux, tenant compte des réalités locales.
Jean-Philippe Dugoin-Clément préconise également de confier aux maires la désignation de l’intégralité des attributions de logements sociaux. Une proposition motivée par la volonté de fluidifier les parcours résidentiels au sein du parc social, aujourd’hui caractérisé par une fréquente inadéquation entre les besoins des occupants et leur logement. « La mise en place d’un contingent unique, avec des critères de répartition fondés sur la réalité des besoins territoriaux, éviterait de loger un ménage à deux heures de transport de son lieu de travail, ou de bloquer certains ménages dans des logements devenus trop petits ou trop grands ». Le modèle des pensions de famille, un système intermédiaire entre l’hébergement d’urgence et le logement social, « qui fonctionne bien et commence à se développer », est loué. L’auteur exprime sa conviction de la pertinence de nouveaux modèles d’habitat, tels que le béguinage, pour les séniors mais pas seulement, « qui consiste à regrouper des habitations individuelles au sein d’un environnement partagé, des pièces de vie commune ou des jardins, avec une offre de soins et de services adaptée, sur place ». Plus globalement, il plaide pour la modularité et la réversibilité des espaces.
Intensifier et non densifier
Au terme de densification urbaine, « un mot qui fait peur », l’élu préfère celui d’intensification urbaine, qu’il juge « nécessaire et inévitable », rappelant que Paris est à la fois une des villes jugées parmi les plus belles… et l’une des capitales les plus denses. « Au fond, l’enjeu d’une intensification urbaine réussie est le niveau de services publics offert, la qualité des aménagements extérieurs, la vivabilité des espaces ». Dès lors, l’auteur plaide pour une libéralisation des surélévations, pour une ville développée en hauteur et en souterrain, « en 3D », à l’image de Montréal ou de Singapour.
Jean-Philippe Dugoin-Clément évoque le chrono-urbanisme et la région des 20 minutes que la majorité régionale souhaite développer, préconisant des quartiers mixtes, plurifonctionnels, également dotés en services publics, qu’il s’agisse des cités HLM ou des zones pavillonnaires. Il préconise également d’encourager l’occupation transitoire des terrains en construction.

« Au fond, l’enjeu d’une intensification urbaine réussie est le niveau de services publics offert, la qualité des aménagements extérieurs, la “vivabilité des espaces” », estime Jean-Philippe Dugoin-Clément. © Jgp
L’ouvrage s’en prend au « c’était mieux avant », basé sur une perception erronée des réalités comparées du passé et du présent. Il décrit un pays où la peur du changement, – du déclassement – domine, un pays « qui n’a plus confiance en lui, qui ne s’aime plus ». Il décrit la politique mise en œuvre à Mennecy, dont Jean-Philippe Dugoin-Clément est maire, pour rétablir une mixité sociale dans une commune qui s’est polarisée au fil des dernières décennies, et qui atteindra les 25 % de logements sociaux d’ici quatre à cinq ans.
L’édile plaide une nouvelle fois pour le rétablissement d’un lien direct entre l’acte de construire et la fiscalité locale que les récentes réformes ont mis à mal. « Les maires ont aujourd’hui les deux pieds sur le frein, car ils n’ont plus aucun intérêt objectif à construire, écrit-il, ni budgétairement ni politiquement ». Il plaide pour une réaffirmation du rôle des maires dans les domaines de l’urbanisme et de la construction, estimant que le transfert d’une part de ces compétences au niveau intercommunal a complexifié l’action publique.
L’auteur vante en l’occurrence les actions mises en place par la région Ile-de-France pour soutenir les maires bâtisseurs, citant le fonds friches créé dès 2019, soit un an avant celui mis en place par l’Etat. Il salue l’action de l’établissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif), qu’il préside tout comme Grand Paris aménagement, autant d’outils « qui peuvent être réellement prescripteurs en matière de qualité du bâti ou d’exigence environnementale ». Mais Jean-Philippe Dugoin-Clément indique « qu’une ambition politique et financière doit se retrouver au plan national ». Et de rêver d’un contrat de confiance entre les maires et l’Etat, par lequel ce dernier garantirait un minimum de services publics aux maires bâtisseurs.
Encadrer le foncier, pas les loyers
« JPDC » est défavorable à l’encadrement des loyers, « qui revient à mettre à mort l’investissement locatif des petits porteurs et les incite à se tourner vers d’autres types de locations, notamment touristiques ». Il préconise la mise en place par l’Etat d’un mécanisme de garantie universelle des loyers impayés en faveur des petits propriétaires, pour restaurer la confiance et réduire l’attrait que représentent les plateformes de location saisonnière, jugées plus sûres. L’encadrement des prix du foncier en zones tendues lui paraît en revanche incontournable, notamment compte tenu de l’augmentation des coûts de construction. « Les solutions, fiscales ou réglementaires, ne manquent pas afin de mettre un terme à des abus qui contribuent à rendre, au bout de la chaine, le prix de l’immobilier inaccessible au plus grand nombre ». Il évoque l’idée d’une surtaxation des ventes de foncier dépassant des prix fixés par l’administration des domaines, ou des incitations fiscales au développement du béguinage.
« On ne peut mener la réflexion sur le sentiment de bien-être dans le logement sans prendre en considération la dimension architecturale et esthétique du bâti », est-il également estimé. L’auteur rappelle que cette préoccupation a motivé la création avec Valérie Pécresse et le maire de Versailles François de Mazières de la Biennale de l’architecture et du paysage (BAP).
ZAN : un calendrier « totalement irréaliste »
« La stratégie “zéro artificialisation nette” (ZAN), telle qu’elle se déploie avec les calendriers et la réglementation actuelle, est totalement irréaliste. Tout le monde le sait mais personne n’ose le formuler clairement», estime Jean-Philippe Dugoin-Clément, qui plaide en l’occurrence pour des objectifs régionalisés davantage. Entre des régions en décroissance ou en croissance, déjà artificialisés ou non, « avoir le même objectif ZAN n’a pas beaucoup de sens », juge l’auteur, qui ne remet pas en cause l’objectif lui-même. Quant au zéro artificialisation brute (ZAB), qui empêcherait toute construction nouvelle, « ce serait signer l’arrêt de mort de nos villages, où souvent la construction de quatre ou cinq logements permet de sauver une école de la fermeture ». « Les conséquences d’un ZAN mal appréhendé sont évidentes : explosion du coût des fonciers, gélification ou dévitalisation des zones rurales ou rurbaines, aggravation de la crise du logement pour les classes populaires ou modestes ». Une sanctuarisation « de certaines zones pavillonnaires » est par ailleurs préconisée.
Dès les premières pages de son ouvrage, Jean-Philippe Dugoin-Clément pose l’importance du sujet : « Qu’est-ce qu’un logement, si ce n’est l’espace dans lequel chacun d’entre nous passe le plus clair de son temps, l’espace qui nous conditionne et fait de nous ce que nous sommes, celui auquel nous consacrons la majeure partie de nos dépenses ? ». « Parler d’habitat, d’aménagement, c’est avant tout parler de l’humain », ajoute le maire (UDI) de Mennecy quelques lignes plus tard.
« C’est de la vie quotidienne de chacun dont il est question et non seulement d’argent, de bâtiment, d’artificialisation des sols ou de procédés de construction ». Puis le vice-président du conseil régional évoque la double crise, sociale d’une part, « qui nous impose de permettre à chacun de se loger dans des conditions décentes », et écologique d’autre part, « qui nous oblige à prendre des mesures drastiques pour préserver notre avenir ». « Les opposer systématiquement est absurde, irresponsable et stérile, car elles sont aussi importantes l’une que l’autre, et il nous faut répondre aux deux », martèle-t-il. Jean-Philippe Dugoin-Clément rappelle au passage que la recherche de l’équilibre entre ces deux injonctions constitue l’essence du schéma directeur de la région Ile-de-France, dont il orchestre actuellement la révision.
Fidèle à lui-même, l’élu s’en prend à « ceux qui prônent l’abandon de l’aménagement pour des raisons écologiques ». « On ne peut pas être à la fois un responsable politique et un théoricien de la fin du monde. C’est incompatible, estime-t-il. Cette vision, qui oublie que l’humain doit toujours être au centre du tout, est profondément anti-social ».
Mais les écologistes ne sont pas la seule cible de Jean-Philippe Dugoin-Clément, qui réserve aussi certaines de ses punchlines au gouvernement : « Le logement ne peut pas être seulement vu comme une ligne de comptes dans un budget public contraint qui cherche à cocher toutes les cases des agences de notation ». Il rappelle, par ailleurs, que c’est comme directeur de cabinet d’Yves Jégo, à Montereau-Fault-Yonne, puis comme directeur général des services de la commune, qu’il a d’abord été confronté à la question du logement, dans une des villes les plus pauvres de la Seine-et-Marne. Aujourd’hui, le maire de Mennecy indique que 70 à 80 % des personnes qu’il rencontre lors de ses permanences d’élu le sollicitent « pour les aider à trouver un appartement ou une maison ».
L’auteur décrit les affres du mal-logement. Il rappelle qu’il faut en moyenne 10 ans d’attente pour se voir attribuer un logement social dans la région capitale, ou que le nombre de sans domicile fixe a doublé au cours de la dernière décennie, passant de 150 000 à 300 000 personnes. Avant de déplorer que la dernière grande politique de la France en matière de logement, à travers la mise en place de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), inventée par Jean-Louis Borloo, qui préface l’ouvrage, a vu au cours des dernières années sa dynamique s’affaiblir. « On manque terriblement, en 2023, d’une politique qui concerne tous les territoires oubliés, ceux, objet de la politique de la ville comme ceux de la ruralité ».
Mennecy a perçu en 2022 moins de 700 000 euros de dotations de l’Etat, contre plus de 2 millions en 2014, déplore Jean-Philippe Dugoin-Clément. Cela alors que la population est passée dans le même temps de 13 200 à 15 900 habitants.
« Un périphérique en 3D »
« Concevoir la ville en 2D, c’est aussi vouloir transformer le périphérique en boulevard urbain, remplacer un usage par un autre, avec la même emprise au sol. La concevoir en 3D, c’est le recouvrir, construire au-dessus, y créer du logement, des parcs, des équipements sportifs ou énergétiques… Madrid a su le faire. En serions-nous incapables ? », interroge l’édile.
Jean-Philippe Dugoin-Clément constate que l’augmentation du budget de l’Etat dédié au logement, passé de 16 à 38,5 milliards d’euros entre 1984 et 2019, s’explique notamment par la hausse du budget dédié à l’hébergement, passé de 350 millions à 4,6 milliards d’euros. Il regrette que les gouvernements d’Edouard Philippe et de Jean Castex aient « commis l’erreur de n’aborder le logement que sous un prisme financier, avec l’idée sous-jacente qu’il y avait dans ce secteur de l’argent dormant qui pouvait être mieux utilisé si l’Etat s’en emparait ». « En réalité, le logement rapporte déjà bien plus à l’Etat qu’il ne lui coûte, rappelle-t-il, et cela ne va que s’aggravant : 90 milliards d’euros de recettes fiscales, soit 20 % de plus qu’il y a cinq ans, pour 38 milliards d’euros de dépenses publiques, soit 10 % de moins qu’à la même date ». L’élu fustige également, au passage, le « pillage organisé scientifiquement par Bercy » des ressources d’Action logement.
*: Jean-Philippe Dugoin-Clément : l’habitat fait le citoyen / Le logement, entre crise sociale et crise environnementale Ed. L’aube, paroles d’acteurs, 142 p. 17 euros